L’Illuminisme en France
(1767-1774)
MARTINES DE PASQUALLY
sa vie, ses pratiques magiques, son œuvre, ses disciples
Suivis
Des CATÉCHISMES DES ÉLUS COËNS
d’après des documents entièrement inédits
par
Papus
Docteur en médecine, docteur en kabbale,
Président du suprême Conseil de l’ordre Martiniste
[/pb_promobox][pb_alert el_title="Vitte" alert_style="alert-info" alert_close="yes" appearing_animation="slide_from_left" appearing_animation_speed="medium" ]À l’ami Vitte, ingénieur, ancien élève de l’École polytechnique, à l’apôtre de l’unité, je dédie ce résumé des efforts de Martines
Papus.
[/pb_alert][pb_heading el_title="Introduction" tag="h1" text_align="inherit" font="inherit" border_bottom_style="solid" border_bottom_color="#000000" appearing_animation="0" ]Introduction[/pb_heading][pb_text el_title="Introduction" width_unit="%" enable_dropcap="no" appearing_animation="0" ]
Jusqu’à présent, on ne possédait aucun document sérieux permettant d’élucider la vie d’un des hommes qui ont le plus contribué au développement et à la propagande de l’illuminisme en France, Martines de Pasqually, l’initiateur de Claude de Saint-Martin dit le Philosophe inconnu et le fondateur du rite des Élus Coëns.
Représentant de la tradition martiniste, nous avons été mis à même, grâce à notre loge de Lyon, d’étudier des archives miraculeusement sauvées et qui permettent de jeter une lumière décisive sur l’histoire de l’illuminisme en France au XVIIIe siècle et sur les rapports des loges avec la stricte observance du baron de Hundt.
Ces archives proviennent d’un homme à peine connu des auteurs spéciaux, J.-B. Willermoz, placé à la tête du mouvement ésotérique à Lyon et qui a joué un rôle des plus importants dans l’histoire du martinisme.
Parmi les documents précieux que renferment ces archives nous avons surtout étudié :
1. La correspondance de Martines de Pasqually avec Willermoz (1767-1774).
2. La correspondance de Louis-Claude de Saint-Martin avec Willermoz, correspondance d’initié à initié, composée de quarante-huit lettres (1771-1790).
3. La correspondance de quelques autres initiés comme l’abbé Fournier (dix lettres, 1778-1787), plus les catéchismes, les communications écrites et les rituels des Élus Coëns et des chevaliers bienfaisants de la cité sainte.
On comprend combien ce classement demande de soins pour être soigneusement fait et pour permettre d’établir enfin une histoire véritable de l’illuminisme en France.
Aussi avons-nous décidé de diviser la besogne en trois parties formant chacune un ouvrage distinct du reste. Nous consacrerons donc une étude spéciale.
1. À Martines de Pasqually ;
2. À Louis-Claude de Saint-Martin ;
3. À Willermoz et à ses documents provenant en grande partie du convent de Wilhemsbad.
C’est l’étude consacrée à Martines de Pasqually que nous livrons aujourd’hui au public. Ce travail fut commencé par nous à Lyon, sur place, en juillet dernier (1893) et poursuivi jusqu’à ce jour (16 octobre) sans interruption.
Pour indiquer aux lecteurs le caractère de nos recherches, nous allons aborder successivement les points suivants :
1. État des lettres de Martines de Pasqually (style, orthographe, matières traitées.)
2. Recherches concernant l’authenticité de ces documents. Histoire des archives.
3. Méthode que nous avons suivie pour la publication de ces documents, vie, doctrine, œuvre de Martines. Éclaircissements personnels.
4. Réfutation des erreurs inévitables commises par les historiens, faute de documents certains.
Les lettres de Martines à Willermoz, déduction faite des feuillets accessoires et des copies sont au nombre de vingt-huit ainsi échelonnés :
2 lettres in-f de 4 pages, 19 juin 1767, 19 septembre 1767.
1 lettre in-f de 4 pages, 20 juin 1768.
6 lettres in-4 de 4 pages, 2 septembre 1768.
6 lettres in-f de 4 pages, 11 septembre 1768.
6 lettres in-4 de 3 pages, 18 septembre 1768.
6 lettres in-4 de 3 pages, 27 septembre 1768.
6 lettres in-4 de 4 pages, 2 octobre 1768.
6 lettres in-4 de 3 pages, 25 septembre 1768.
5 lettres in-f de 4 pages, 23 janvier 1769.
5 lettres in-4 de 4 pages, 19 février 1769.
5 lettres in-4 de 5 pages, 3 mai 1769.
5 lettres in-4 de 4 pages, 8 avril 1769.
5 lettres in-4 de 3 pages, 29 août 1769.
6 lettres in-f de 4 pages, 20 janvier 1770.
6 lettres in-4 de 4 pages, 16 février 1770
6 lettres in-f de 4 pages, 13 mars 1770.
6 lettres in-4 de 4 pages, 7 avril 1770.
6 lettres in-4 de 8 pages, 11 juillet 1770.
6 lettres in-4 de 3 pages, 16 décembre 1770.
3 lettres in-4 de 3 pages, 27 août 1771.
3 lettres in-4 de 3 pages, 1er novembre 1771
3 lettres in-4 de 3 pages, 26 novembre 1771.
2 lettres in-4 de 2 pages, 13 janvier 1772.
2 lettres in-4 de 2 pages, 17 avril 1772.
1 lettre in-4 de 4 pages, 12 octobre 1773.
2 lettres in-4 de 3 pages, 24 avril 1774.
2 lettres in-4 de 4 pages, 3 août 1774.
Toutes ces lettres sont parfaitement conservées.
Le style de ces lettres est relativement clair surtout quand on songe qu’elles ont été écrites par un étranger. Les idées exposées sont le plus souvent très élevées principalement chaque fois que le maître aborde la doctrine.
L’orthographe est toutefois des plus bizarres et nous avons dû faire de véritables traductions des extraits que nous citons dans le cours de ce travail ; ce fut là une des parties les plus ardues de notre tâche. Sans cette précaution, il eut été impossible au lecteur de suivre la pensée de Martines. Nous donnons de suite comme exemple le simple extrait suivant de la lettre du 19 septembre 1767.
« Retard doit être attribué à une maladie ases considérable qui m’a tenu prets d’un mois et demy or détat de pouvoir suporté ma tette sur mais epolles a quause d’une fluction affreuse que jeus au bout de l’oreille droite, jeus de plus une gripe considérable, le tout me tomba sur la poitrine, joignés tout ses maux un point de cotté et une bonne fièvre. Je me demande si d’un seul de tous ses maux il n’y aurai pas asé pour me faire repentir de quelque faute que j’aurai pu commettre contre le Grand Maître, suposé que je ne m’en fut point aperçu. »
Ainsi qu’on le verra par la suite, chaque lettre aborde les sujets les plus divers en insistant particulièrement sur divers points : l’initiation de Willermoz à la pratique et la constitution de la société de Martines.
Tous les auteurs qui ont parlé du fondateur du Martinisme écrivent son nom Martinez de Pasqualis.
Or toutes les lettres adressées à de Willermoz sont signées :
Don Martines de Pasqually.
Une lettre du 1er novembre 1771 est signée :
Depasqually de la Tour.
Et c’est à ce nom que Martines a fait envoyer sa correspondance à Paris :
« Depasqually de la Tour, aux Trois-Rois, rue Montorgueil, près la Comédie italienne. »
(Lettre de Paris du 27 avril 1771.)
Aussi les lettres écrites rapidement sont-elles signées :
D. P. D. L. T.
Abréviation de la signature précédente. (Lettre de Bordeaux du 26 novembre 1771.)
Cependant, les actes officiels sont signés généralement de Don Martines de Pasqually, grand souverain, et cette signature est suivie de la griffe ésotérique de Martines. Cette griffe remplace assez souvent la signature. (Lettre de Port-au-Prince du 24 avril 1774.)
Enfin, dans la lettre du 17 avril 1772 annonçant l’initiation de Saint-Martin, la griffe et un autre signe qui l’accompagne sont marqués deux fois.
La signature de Martines
(Photographie d’un manuscrit)
*
* *
Quelle déduction peut-on tirer de cette signature ?
Nous n’insisterons actuellement que sur un seul point.
Remarquez le mot Don, écrit avec un N et non avec un M. Nous pouvons admettre que, quelque mépris qu’ait eu Martines pour l’orthographe, il savait du moins écrire correctement son nom. Or un Portugais se fait un scrupule d’écrire toujours Dom devant son nom, et ceux qui connaissent les préjugés locaux savent que jamais il ne tiendrait à être confondu avec un Espagnol en écrivant Don.
Jusqu’à preuve du contraire, nous persisterons donc à ne pas considérer Martines comme Portugais.
Cela nous conduit à vérifier le caractère d’authenticité des lettres du maître.
Les documents que nous possédions avaient certes le caractère le plus complet d’authenticité. Mais il se trouve toujours des esprits chagrins à qui les preuves historiques et morales ne suffisent pas et qui désirent une de ces preuves par le fait, irréfutables en leur brutalité. Sans nous arrêter donc à la concordance des dates, à l’exactitude des détails évoqués, notamment en ce qui concerne Saint-Martin, nous fîmes notre possible pour découvrir un acte officiel corroborant les indications contenues dans les lettres que nous possédions. À cet effet, deux actes étaient pour nous de la plus haute importance. D’abord l’acte de mariage de Martines, qui nous aurait indiqué l’âge exact et la véritable patrie du maître ; puis l’acte de naissance de son fils.
Nous écrivîmes à Bordeaux, et nous devons publiquement rendre hommage à la courtoisie avec laquelle M. Duval, archiviste de la ville, voulut bien se mettre à notre entière disposition. Nous avons d’abord demandé à M. Duval de faire exécuter quelques recherches concernant l’acte de mariage. Voici la lettre qu’il nous envoya à ce sujet :
Bordeaux, le 4 juillet 1893
Monsieur,
Conformément à votre demande, j’ai fait faire des recherches concernant l’acte de mariage de Martines de Pasquallis, passé à Bordeaux du 2 au 10 septembre 1767, d’après vos notes.
Les répertoires pour toutes les paroisses de la ville des actes pour les catholiques, les protestants et les israélites ont été parcourus de 1750 à 1780 et n’ont fourni aucun renseignement, soit au nom de Martines, soit au nom de Pasquallis.
Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.
Duval,
Archiviste de la ville
De ce côté mes efforts semblaient donc devoir demeurer infructueux. Mais Martinez annonce dans une de ses lettres la naissance et le baptême de son fils. Nous revînmes donc à la charge, fournissant à M. Duval le plus de notes possible, et le 21 juillet nous recevions la lettre suivante, qui confirme d’une façon absolue l’authenticité des documents que nous possédons.
Bordeaux, 31 juillet 1893
Monsieur,
J’ai fait reprendre les recherches relatives à l’acte de mariage de don Martines de Pasquallis ; elles n’ont pas donné de meilleur résultat que celles faites lors de votre première lettre. Il est donc à peu près sûr que ce mariage n’a pas eu lieu à Bordeaux.
J’ai été plus heureux pour l’acte de baptême que vous demandez et dont je vous envoie ci-après la copie littérale, en en respectant l’orthographe.
Agréez, Monsieur, l’assurance de ma parfaite considération.
Duval,
Archiviste de la Ville
En 1768, le 20 juin a été baptisé messire Jean Jaques Philipe Joacin Anselme de la Tour de la Case, fils légitime de sire Jaques Delivon Joacin Latour de la Case don Martinets de Pasqually et de dame Marguerite Angélique de Colas, de St Michel ; parrain : François Vissières ; marraine : Catherine Roussillon. Le père a signé.
Signé au registre : don Martines Depasqually père ; Arnaud Caprain ; Canihac ; Léris, vicaire.
En marge est écrit : Baptême de messire Jean Jaques Philipe Joacim Anselme de Pasqually.
(Archives municipales de Bordeaux, série GG, registres paroissiaux, n 240, paroisse Ste Croix, article 980.)
Les archives
Maintenant que nous sommes assuré de la valeur réelle des lettres de Martines, résumons de notre mieux l’histoire des archives depuis Willermoz jusqu’à nos jours.
Après le convent de Wilhemsbadt où le Martinisme avait joué un rôle si important, une alliance avait été conclue entre les Martinistes et les représentants de la Stricte observance. Les archives destinées à la création du rite réformé avaient été confiées au directeur de la Province d’Auvergne, le T. P. M J.-B. Willermoz, négociant lyonnais. Ceci se passait vers 1782. Les négociations se poursuivirent pendant les années suivantes et, en 1789, les prodromes de la Révolution arrêtèrent brusquement le travail en cours.
Laissons la parole à Willermoz dans une lettre écrite en 1810 au Prince de Hesse :
« J’ignorais ce qui se passait dans les diverses contrées de la France ; car il n’était plus possible de correspondre nulle part. Mais deux ou trois jours avant le commencement du siège qui menaçait la ville de Lyon, effrayé des dangers que couraient les Archives provinciales dont le dépôt m’était confié dans la maison de l’Ordre, située hors de la ville, je m’y transportai le plus secrètement possible avec un seul servant d’armes courageux ; je vidais les armoires ; j’entassais à la hâte ce qu’elles contenaient dans des malles et je fus assez heureux pour le faire entrer dans la ville le même jour ; car, dès le lendemain, il n’était plus temps, le pont de communication de la ville à la maison d’Ordre ayant été rompu, et trois jours après cette maison, et tout ce que je n’avais pu enlever fut brûlé et réduit en cendres. Une bombe tombée sur la maison, en ville où je venais de prendre un asile, mit en poussière une de mes malles remplie des registres, procès-verbaux et documents de tout genre. Après le siège, je me vis obligé, par de nouveaux dangers plus pressants qui me forcèrent de fuir et de me cacher, de réduire au plus petit volume possible ces archives, afin de pouvoir emporter avec moi ce que je n’avais pu enterrer ou déposer en main sûre. J’ai été arrêté et emprisonné trois fois et à la troisième, le jour même où je fus condamné à la mort pour le lendemain, la chute de l’atroce tyran de la France, Robespierre, me rendit à la liberté.»
(Lett. au Prince de Hesse., p. 7 du mss.)
Cette préoccupation constante du salut des archives au milieu des plus pressants dangers n’est-elle pas admirable et ne mérite-t-elle pas la vive reconnaissance de tous les sincères amis de la Vérité ?
Quelques années après, Willermoz mourait et léguait le précieux dépôt à son neveu, qu’il avait initié lui-même et nommé G. M. Profès. À la mort de celui-ci, sa femme confia les papiers à un ami sûr et profondément dévoué à ces idées, M. Cavarnier.
Au milieu des succès matériels et des labeurs quotidiens, cet homme de bien trouva le temps de poursuivre ses études et fut amené progressivement à approfondir l’occultisme dont il devint un fervent adepte, travaillant seul et sans confier ses recherches à aucune société.
Mais sentant la lourdeur de la responsabilité qui pesait sur lui, si les archives se perdaient, Cavarnier eut sans doute une seconde le désir intense de sauver le dépôt sacré et nous savons tous la puissance avec laquelle le désir se propage en l’invisible.
Un jour, passant devant une petite boutique de librairie, Cavarnier est attiré, comme malgré lui, vers ce magasin. Il entre, cause à la personne qu’il trouve là et constate, (peut-être sans étonnement, car les intuitifs sont sujets à cet ordre de faits), qu’il se trouve devant le représentant du Martinisme à Lyon, M. Elie Steel et qu’il a été conduit chez les successeurs directs de ceux dont il possède les archives.
Que dire après cela. Averti de ce qui se passait notre ami Vitte n’hésita pas à me mander à Lyon où, pendant une semaine, je compulsai et copiai les principaux documents. J’eus le plaisir de me rendre auprès de Cavarnier, et je trouvais en lui l’homme de cœur, dignement choisi par nos maîtres pour être le gardien de leur spiritualité.
C’est ainsi que j’ai pu reconstituer une grande partie de ce livre et de l’œuvre de Martines et que j’ai réussi à éclaircir certains points de la Vie de Saint-Martin, obscurs pour son meilleur biographiste, M. Matter.
En tout cela mon mérite est nul ; car je ne suis que l’humble instrument choisi par nos maîtres pour mettre au jour ce qu’ils ont sauvé à travers tant de péripéties. Ma seule ambition est d’être un commentateur fidèle et un interprète éclairé des documents dont ils ont bien voulu me confier la publication. Si cependant mes efforts trahissent ma bonne volonté, je ferai du moins tout mon possible pour qu’un autre puisse être plus heureux que moi en fournissant à mes lecteurs la plupart des originaux dans toute leur intégrité. J’espère ainsi répondre de mon mieux à la grande faveur dont j’ai eu l’honneur d’être l’objet. Ce sera là ma seule récompense comme c’est là ma seule ambition.
*
* *
Pour justifier ce but, quelle méthode de publication fallait-il adopter ?
Fallait-il publier sans commentaires les lettres de Martines ? C’était laisser au lecteur le soin d’un méticuleux travail demandant trop de temps. De plus si le caractère de Saint-Martin se prête davantage à une telle méthode de publication, la multiplicité des sujets abordés par Martines dans ses lettres rendait un tel moyen impossible à réaliser pratiquement.
Voilà pourquoi nous avons analysé chaque lettre à un triple point de vue.
1° Au point de vue de la Vie matérielle, des affaires et des voyages de Martines.
2° Au point de vue de la doctrine du maître et de ses pratiques magiques.
3° Au point de vue de la réalisation pratique et de la Société des Élus cohens.
Telle est la raison d’être de chacun des trois chapitres de cet ouvrage.
De plus, nous avons fait précéder chacune de ces divisions d’une sorte d’avant-propos résumant nos idées personnelles touchant la doctrine martiniste (chap. 2) et le caractère des sociétés secrètes d’après l’enseignement de l’ésotérisme.
Nous ne parlons pas du travail que nous a demandé l’élucidation des pratiques magiques du fondateur du Martinisme, non plus que des recherches qu’exige l’étude de la situation du Martinisme au sein des sociétés secrètes de cette époque. Ceux de nos lecteurs qui nous font le grand honneur de suivre nos travaux étant à même de nous rendre justice à cet égard. Quant à nos adversaires qui ne voient dans nos œuvres que des compilations plus ou moins heureuses et qui nous décorent du titre de « vulgarisateur de l’occultisme », nous ne chercherons pas à les convaincre et nous espérons simplement qu’ils estimeront assez ce travail pour le piller à l’occasion… sans citation de source suivant leur louable habitude.
Les récompenses inespérées que nous prodiguent l’invisible et le calme d’une conscience certaine d’avoir fait son devoir, sont des biens qu’aucune perfidie ne peut atteindre et constituent la source véritable du bonheur pour l’homme incarné.
Les initiés à la haute doctrine du Martinisme nous comprendront quand nous leur rappellerons que notre premier devoir est de rester inconnus pour ceux que nous sauvons de l’ignorance ou de l’égoïsme et supérieurs à toutes les injustices et à toutes les vilenies du monde profane.
Papus
[/pb_text][pb_heading el_title="Chapitre 1" tag="h1" text_align="inherit" font="inherit" border_bottom_style="solid" border_bottom_color="#000000" appearing_animation="0" ]CHAPITRE PREMIER - VIE DE MARTINES DE PASQUALLY (DE 1767 A 1772)[/pb_heading][pb_text el_title="CHAPITRE PREMIER" width_unit="%" enable_dropcap="no" appearing_animation="0" ]
Vie de Martines de Pasqually
Martines arrive à Bordeaux vers le mois de mai 1767, venant de Paris, et après avoir passé par Amboise, Blois, Tours, Poitiers, La Rochelle, Rochefort, Saintes et Blayes.
Dans chacune de ces villes, il s’est mis en relation avec les maçons pour combattre l’influence de la Loge dite de Clermont et pour asseoir les bases d’une entente avec le Tribunal Souverain de son ordre des Élus Coëns.
Nous reviendrons sur tous ces détails à propos de l’œuvre de réalisation de Martines. Pour l’instant, retenons l’itinéraire de ce voyage qui nous permet de suivre le « grand souverain » dans sa mission de propagande.
La lettre du 19 juin 1767, qui nous donne tous ces détails, est purement consacrée aux questions d’ordre et est surtout intéressante en ce qu’elle marque le début de la correspondance entre Martines et Willermoz, surtout de la correspondance initiatique.
Brusquement la correspondance cesse à ce moment pour ne reprendre que trois mois plus tard et, cette fois, nous commençons à connaître d’intéressants détails sur notre auteur (19 septembre 1767).
Plusieurs événements importants se sont produits depuis l’arrivée de Martines à Bordeaux.
Tout d’abord une maladie assez grave qui a duré un mois et demi et dont la description mérite d’être soigneusement rapportée.
Maladie de Martines
« Une maladie assez considérable qui m’a tenu près d’un mois et demi hors d’état de pouvoir supporter ma tête sur mes épaules à cause d’une fluxion affreuse que j’eus au coin de l’oreille droite ; j’eus de plus une grippe considérable. Le tout me tomba sur la poitrine ; joignez à tous ces maux un point de côté et une bonne fièvre. Je vous demande si d’un seul de tous ces maux, il n’y en avait pas assez pour me faire repentir de quelque faute que j’aurai pu commettre contre le Grand Maître, supposé que je ne m’en fusse point aperçu. »
Cela nous mène du 19 juin au milieu du mois d’août environ, surtout si l’on prend garde que cette maladie, conséquence probable des fatigues du voyage, n’a dû éclater que quelques jours après l’envoi de la lettre de juin. À peine rétabli que fait Martines ?
Il se marie.
Mariage de Martines
Cette question du mariage de Pasqually est très importante, car elle est encore ignorée de tous ceux qui ont eu à s’occuper du maître. Elle jette de plus une grande lumière sur l’origine des relations qui s’établiront plus tard entre Martines et Saint-Martin.
« Je ne compte pas pouvoir me rendre à Paris auprès de mon Tribunal Souverain, comme ils me l’ont fait promettre pour le courant de ce mois, soit par mon peu de santé, de même que par mes affaires particulières et celles de la maison de la demoiselle que j’ai épousée, il y a environ quinze jours, dans ce pays-ci, qui est la nièce de l’ancien major du régiment de Foix. »
Le mariage a donc dû avoir lieu au commencement de septembre 1767, et c’est par sa femme que Martines s’est mis en relation avec les officiers de ce régiment de Foix d’où sortirent ses plus illustres adeptes.
La femme de Pasqually
Quelques détails sur la femme que le maître vient d’épouser sont intéressants à noter.
Nous savons que cette demoiselle est la nièce de l’ancien major du régiment de Foix.
Le correspondant de Willermoz contient deux lettres de Mme de Pasqually.
Celle qui nous est la plus utile pour le moment est du 4 mai 1771 et a trait à la demande d’une robe. Elle est signée.
Colas de Pasqually.
On pourrait lire Colar, mais Willermoz a eu soin de bien établir l’orthographe du nom dans l’annotation placée au dos de la lettre.
Nous avons donc fait quelques recherches portant sur ce nom de Colas.
Tout d’abord, nous avons étudié dans l’état militaire de France « l’histoire du Régiment de Foix ».
Dans l’état de 1761 nous trouvons M. le Comte de Rougé, colonel depuis 1758. M. de Lefrat, lieutenant-colonel et M. Collas, major.
Jusqu’en 1762, nous retrouvons le nom de M. Collas, comme major. « L’état » de 1763 nous apprend que, par décret du 10 décembre 1762, « le régiment de Foix est destiné au service de la Marine et des Colonies et à la garde des ports du Royaume ». Voilà pourquoi nous ne trouvons plus que le nom du Colonel : M. le Comte de Maulevrier-Langeron à Saint Domingue.
C’est plus que probablement à cette époque que M. Collas, major du régiment et oncle de Mme de Pasqually, s’est retiré de la vie militaire.
Le fils de Martines
La lettre du 20 juin 1768 nous donne de très curieux et très instructifs renseignements. Nous voyons que Martines consacre toutes ses forces intellectuelles à la propagation de ses doctrines et de son ordre, qu’il commence à s’apercevoir de l’hostilité d’un de ses membres : le Mtre du Guers qui sera bientôt chassé de la société et enfin qu’il se prépare à constituer un nouveau Tribunal Souverain local. Nous retrouverons les noms des membres composant ce tribunal à propos des loges.
Mais un grand événement est survenu dans la vie privée du maître : il vient d’avoir un fils qu’il a reçu grand maître après l’avoir fait baptiser. Nous trouvons là la première preuve de la fausseté des allégations de ceux qui prétendent que Martines est juif ; nous en aurons tout à l’heure une autre plus forte, si c’est possible. Mais citons la phrase originale.
« Je vous fais part, T. P. maître, que le fils que Dieu m’a donné a été reçu Grand Maître Coën le dimanche dernier après son baptême à la 7ème heure du dernier horizon solaire, conformément à nos lois, assisté par quatre de mes anciens coëns simples nommés ci-dessus. »
C’est dans cette lettre que nous trouvons pour la première fois le cachet du Grand Souverain et la signature ésotérique, la griffe secrète de Martines.
Signalons aussi la description d’une « vision » que le maître a eue au sujet de la sœur de Willermoz atteinte d’une affection utérine et une liste de prescriptions médicales à remplir. Martines se révèle à nous comme médecin. Quelle est donc son école au point de vue des théories médicales ?
Martines guérisseur
Ses opinions dérivent d’un alliage curieux entre les théories « humoristes » en cours à l’époque et la médecine des campagnes. Voyons plutôt.
D’abord la pathologie :
« Voici son mal, que ce que je vous dirai ne vous fasse point de la peine. Sa maladie est un épanchement des liqueurs espermatiques qui se réintègre, après son expulsion insensible, dans le lit de la conception, et de là se subdivise dans tous les rameaux matriculaires, ce qui donne de grandes douleurs et même insupportables à la personne qu’elles affectent, soit par la grande tension qui se fait dans toutes les membranes et rameaux qui la contient à son équilibre. Elle doit être même descendue partant vers son orifice et c’est pour lors que cette matrice où mademoiselle votre sœur fait quelque mouvement un peu fort, elle doit sentir des douleurs fort vives comme si quelque chose déchirait ses reins, le long des cuisses et le sommet des genoux, en un mot, mon T. P. Maître, je n’ai rien plus à vous dire dans le détail de cette maladie sinon que la matrice aux parties intestines d’une femme est, et fait les mêmes faits que font les poumons à la poitrine. Si les poumons sont enflammés, les parties cartilagineuses de la poitrine souffrent ; de même, les parois de la matrice pâtissent par le défaut d’humectation qui cause une inflammation tant à elle qu’à ce qui l’environne. »
Cette pathologie où l’on sent quelques connaissances anatomiques alliées à une curieuse intuition des rapports homologiques (utérus et poumons) est du reste curieuse par la recherche des causes.
Mais abordons la thérapeutique :
« Pour cet effet, suivant le précepte divin : aide-toi ; je t’aiderai, il faut porter le remède au mal. Vous prendrez les quatre laits que nous appelons les quatre secours qui sont lait de vache, lait de chèvre, lait d’ânesse et lait de brebis, environ un demi-gobelet de chaque dans lequel vous y ferez dissoudre un quart d’once de blanc de baleine pur ; vous mettrez le tout dans une bouteille de verre blanc et non d’autre ; vous ferez chauffer, le tout pendant un bon quart d’heure dans le bain-marie qui sera dans un pot neuf d’eau de fontaine, vous y attacherez ladite bouteille où sera le blanc de baleine et les différents laits, de sorte que la bouteille ne touche de pas une façon le pot et qu’elle soit bien suspendue en l’air dans l’eau. On met le tout froid, on laisse la bouteille débouchée et lorsque l’eau est bien chaude, le temps susdit, vous retirez le tout hors du feu, vous laissez perdre la grande chaleur au tout ensemble, ensuite sortez la bouteille de lait dudit pot, et lorsqu’il est tiède, vous le mettez dans une petite seringue que vous donnez au malade pour se seringuer la matrice. Elle prendra de ces petits anodins, tant qu’elle en jugera à propos, elle peut en prendre deux le matin, deux l’après-midi et même un dans la nuit et même plus si elle sent qui ne lui fasse aucune peine d’user de ce remède. Dites-lui que je l’assure d’un succès parfait. »
Ainsi, voilà une lettre des plus importantes puisque nous voyons Martines sous un jour bien peu connu jusqu’à présent. Mais poursuivons.
Occupation de Martines à Bordeaux
Le Maître s’occupe à Bordeaux de trois ordres de travaux.
1° La confection des cahiers d’initiation.
2° La propagande de son ordre et la fondation de nouvelles loges, ainsi que le développement de sa loge à Bordeaux.
3° Les travaux de magie pratique et l’enseignement de la pratique à quelques disciples choisis.
Voilà, certes, de quoi remplir les instants laissés libres par les occupations destinées à assurer la vie matérielle.
Aussi dès qu’un disciple peut faire le voyage, se hâte-t-il d’accourir à Bordeaux pour travailler avec le maître.
La lettre du 13 août 1768 nous apprend l’arrivée de maître du Guers que nous retrouverons bientôt. De plus, elle contient les premiers enseignements initiatiques dont nous nous occuperons dans un autre chapitre ; enfin, elle annonce les premières relations avec Saint-Martin, encore profane.
« Je vous fais part que M. de Saint-Martin m’écrit qu’il doit venir passer son quartier d’hiver ici, peut-être avec le T. P. Maître de Grainville. J’attends pareillement le T. P. Maître de Balzac qui doit descendre de La Rochelle pour venir ici passer quelques jours avec moi pour leur instruction et pour recevoir leurs patentes constitutives pour élever des temples dans les pays où ils vont passer à la fin de septembre ou au commencement d’octobre. »
Quelques notes sur ces personnalités.
Saint-Martin, qui sera plus tard le plus ardent et le plus célèbre des disciples de Martines, est encore profane, aussi l’appelle-t-on Monsieur.
De Grainville, qui sera le collègue de Saint-Martin dans sa carrière initiatique, est en ce moment capitaine au Régiment de Foix si nous nous reportons à « l’État militaire de France » de 1767 et 1768.
De Balzac est un membre de la branche des Balzac de La Rochelle et malgré toutes mes recherches il m’a été impossible d’établir un lien de parenté quelconque entre l’initié de Martines et le grand écrivain, qui s’était du reste anobli lui-même. Honoré de Balzac. Cette recherche était d’autant plus tentante qu’Honoré de Balzac a sûrement connu les doctrines martinistes ; mais par quelle voie ? Mystère.
Martines travaille donc beaucoup, tant la pratique que la théorie. C’est ce que nous apprend la lettre du 2 septembre 1768.
Cette lettre écrite pour répondre à certaines demandes de Willermoz touchant la pratique, nous apprend en même temps que Martines, aidé de Du Guers, travaille à la confection des rituels.
« Je suis si pressé de même que le P. Maître Du Guers à finir tous nos grades, de même que toutes les cérémonies et catéchismes pour faire partir pour Paris, afin que le Tribunal Souverain soit rempli de tous les objets qu’il comporte (demande) pour satisfaire ses grands temples, ses loges, de même que tous ses membres, que je ne vous dirai pas grand chose. »
Cependant, Willermoz n’y perdra pas, car le 11 septembre 1768, Martines lui expédie une énorme lettre de 4 pages in-f° uniquement consacrée aux pratiques magiques et que nous reproduirons in extenso dans un des chapitres suivants. Pour l’instant, nous étudions simplement la vie de Martines et ses travaux journaliers à Bordeaux.
Aussi laisserons-nous de côté les lettres du 8 septembre 1768, du 27 septembre 1768 et du 2 octobre qui ont rapport aux opérations magiques et à un malentendu qui a empêché Willermoz de recevoir les paquets à temps par suite de l’étourderie d’un domestique.
Nous ne retiendrons de ces lettres que ce dernier détail qui prouve que Martines vivait modestement ; mais pouvait cependant avoir un service et même recevoir chez lui à demeure plusieurs amis comme nous le verrons ci-après.
La lettre du 2 octobre nous annonce aussi l’arrivée des amis attendus à Bordeaux.
« Je vous fais part de l’arrivée de Grainville dans Bordeaux avec Maître de Saint-Martin qui vient pour affaires personnelles. Maître de Grainville loge et mange chez moi. J’attends en ce moment le Maître de Balzac qui est à La Rochelle. Je compte qu’il vient s’embarquer à Bordeaux.»
Enfin, cette lettre se termine par de nouveaux conseils médicaux au sujet de la sœur de son correspondant.
Affaire Du Guers
Le 25 novembre 1768 est écrite une lettre relatant la trahison du Maître Du Guers.
La conduite de cet individu est, en effet, singulière. Après avoir reçu les enseignements directs de Martines, il ne poursuit qu’un seul but : faire de l’argent. Aussi vend-il des grades au plus offrant, fait-il des initiations maçonniques pour des sommes plus ou moins élevées ; enfin trahit-il à la fois ses maîtres et ses serments.
Voici ce qu’en dit d’abord Martines.
« Et pour éviter qu’il ne se serve point de mon nom et de mes instructions, je l’ai entièrement sorti de chez moi et l’ai laissé à la miséricorde du Grand Architecte de l’Univers ; il faut le prier qu’il l’ait en pitié ; mais il s’est rendu indigne de la confiance des hommes. »
D’après ce qu’en dit Martines, ce Du Guers se faisait passer pour le seul Grand-Maître de l’Ordre, ayant la haute main sur toute la direction de Paris.
Cette lettre nous apprend aussi que Saint-Martin a reçu les premiers grades ; car il est déjà Vénérable Maître.
« Vous pouvez écrire au P. Mtre de Grainville qui vous fait bien des amitiés ainsi que le V M de Saint-Martin ; ils attendent de vos nouvelles… »
Le scandale Du Guers continue longtemps, car le 23 janvier 1769 une longue lettre nous donne des détails très intéressants sur les diverses phases de cette affaire.
Du Guers, de son vrai nom Bonnichon est définitivement rayé de l’ordre ; mais il a fait tout au monde pour anéantir Martines et sa société. Jugez-en plutôt :
« Les opérations » avaient, paraît-il manifesté par des signes patents, l’indignité de Du Guers qui s’était retiré hors d’une séance « couvert de honte et de confusion. »
« Ce monstre fit un complot entre plusieurs polissons, et autres maçons que j’avais chassés jadis de mon ancien temple pour surprendre la bonne foi de Messieurs les magistrats et leur justice par de fausses accusations qu’il leur porta contre moi, en ne leur disant pas qui j’étais sinon un étranger et aventurier dans Bordeaux, que je l’avais déshonoré dans toutes les bonnes maisons de la ville où je l’avais protégé. »
« Ayant été averti de la démarche de ce drôle, je fus trouver Me d’Arche Jurat, gentilhomme devant qui il avait présenté sa plainte et ses impostures. Me voyant, il fut assez surpris, ayant l’honneur d’être particulièrement connu de lui, et me demanda des informations sur le compte de cet homme. Sur quoi je l’instruisis en finissant mon instruction à ce sujet que ledit Du Guers était un escroc sous prétexte de maçonnerie et lui mis les preuves en main ; j’ajoutai même toutes les bassesses, les lâchetés et impiétés que ce fourbe avait faites ici à Bordeaux depuis plus de quatre mois. »
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« J’en ai dit assez à MM. les magistrats pour qu’ils l’envoyassent chercher et le tancèrent cruellement en lui faisant de sérieuses défenses et lui défendant pour l’avenir qu’il ne fut plus question de lui en fait de plaintes, sinon il aurait affaire à eux. Et on le renvoya couvert de haillons et d’humiliations. »
« Il voulut certifier à MM. les magistrats qu’il était homme de grande conséquence et qu’il pouvait le prouver même par MM. d’Aubenton et M. Caunaud, commissaire des classes de notre marine qui lui donneraient un certificat de tout ce qu’il avançait devant leur justice. Il fut pris au mot. MM. les magistrats envoyèrent tout de suite un officier de ville chez ces messieurs pour demander un certificat ainsi que ledit chevalier l’avait assuré, il lui fut formellement refusé en disant que lesdits Sieurs n’avaient l’honneur de le connaître que par la recommandation que M. Dom Martines lui en avait faite. Il y en eut assez de rapporté à MM. les juges pour qu’ils missent cet homme plus bas que terre. Moi charitablement, ne voulant prendre avantage sur les droits que j’avais de perdre le misérable, je me contentai de le mépriser et l’abandonnai à son malheureux sort. »
« Mais voyant que cet homme persistait à faire des démarches pour tâcher de me nuire, disant partout qu’il m’aurait perdu sous peu et que puisque les « jurats » ne lui avaient point rendu justice, il porterait sa plainte au procureur général et aux maréchaux de France. En vérité je ne pus m’empêcher de dévoiler à MM. les magistrats mon escroc et mon chevalier errant. Je détaillai à M. d’Arche, jurat, les motifs qui avaient engagé cet homme d’agir aussi atrocement, soit contre moi, l’ordre et ses principaux chefs. Sur mon exposé M. d’Arche, l’envoya chercher et lui fit part qu’il l’avait renvoyé à être jugé par-devant notre tribunal secret[1] et qu’étant accusé de vives prévarications dans l’ordre, qu’il ne convenait point faire de conflit de juridiction ; ainsi qu’il l’avait en portant à plusieurs cours des plaintes vagues contre moi et qu’en conséquence il y aurait présent un monsieur de confiance de l’Hôtel de Ville qui serait présent et qui leur rendrait un fidèle compte du jugement et de l’arrêt rendu contre lui. »
« Ce qui fut dit fut fait ; nous lui fîmes son procès et fut donné arrêt par le tribunal secret le 5 janvier 1769 ainsi que vous verrez par la suite, attendu que j’en fais tirer des extraits que je vous enverrai sous peu. Le lendemain au matin, je fus moi-même porter l’arrêt à M. d’Arches à qui je fis la lecture qu’il trouva bien et digne des prévarications de cet homme inique. Delà je le portai chez le M d’Aubenton qui le lut soigneusement et le trouva pareillement bon. »
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« Je m’en revins et fus faire part de son arrêt à toutes les personnes maçonnes et profanes ainsi qu’à ceux qu’il avait parlé en mal de l’ordre et de son chef, ce qui les étonna beaucoup. »
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« Enfin cet homme se voyant définitivement découvert, s’en fut avec sa clique chez le curé de ma paroisse lui dire que j’étais un apostat et que j’enseignais, sous prétexte de Maçonnerie, une secte contraire à la religion chrétienne. Ayant eu vent de cela, je me transportai chez mon curé et lui demandai ce qui lui avait été dit de la part de ce drôle contre moi. Il ne m’en fit point mystère, il me dit tout. Et je lui fis voir qui j’étais dans ma religion, mes certificats de catholicité[2] et mes devoirs exacts et essentiels d’un zélé chrétien et il fut convaincu de la vérité que je lui dis, de même que du faux exposé de ce monstre. »
« Lorsqu’il fut entièrement informé de l’un et de l’autre cet escroc imposteur, voyant qu’il ne pouvait réussir en ses forfaits, il prit le parti de venir chez moi un jour que j’étais en campagne chez M. de Brulle, garde du Roi, notre émule, pour tâcher de faire sentir aux P. M. de Grainville et de Balzac la douleur qu’il ressentait d’avoir perdu leur amitié et estime et qu’à Moi il aurait où il me tuerait d’un coup de pistolet. Mon ange tutélaire le suivait pour lors pour pisser dans le bassinet. Les P. Mtres lui représentèrent quelque chose à ce sujet n’importe quoi, cela finit. »
« Cet inique fut s’affilier dans des loges bâtardes et apocryphes. »
Après plusieurs essais pour perdre le maître, ce Du Guers reçut l’ordre des magistrats de s’embarquer dans les 24 heures et il se décida alors à partir pour Cayenne.
Cette querelle grave entre Martines et le disciple renégat est précieuse pour nous puisqu’elle nous donne des renseignements sur la religion de Martines.
Nous trouvons maintenant une série de lettres datées respectivement des 19 février, 5 mai, 8 août, 29 avril 1769 et du 20 janvier 1770 qui contiennent surtout des renseignements sur l’organisation de l’ordre et qui montrent que Martines s’occupe activement de la propagande tout en étant assez difficile sur le choix des nouveaux membres.
La seconde partie de la lettre du 19 février est de la main de Grainville et signée de lui et a trait à une demande de fonds par Martines.
La lettre du 8 août nous donne quelques renseignements sur les affaires de Martines, d’autant plus précieux qu’ils sont très rares dans la correspondance.
« Je serais bien résolu de passer à Paris ainsi qu’ils le désirent, mais ma situation présente, mes affaires domestiques et le recouvrement d’une petite succession que j’ai ici d’un de mes parents décédé aux îles, ainsi que j’ai fait voir au G. Maître de la Chevalerie, me retiendront encore quelque temps dans cette ville. »
Nous verrons plus tard que cette succession sera la cause prédominante du départ de Martines pour Saint-Domingue.
À ces lettres se trouve jointe une réponse de Willermoz et il faut avouer que le disciple n’est guère tendre pour son maître. Il répond à la demande de pension faite par de Grainville le 18 février.
Il a attendu d’être à Paris pour la faire, si bien que sa lettre est datée du 29 avril 1769.
Vu l’importance de cette lettre nous croyons devoir la reproduire in extenso, car elle fixe une période critique de l’histoire du Martinésisme.
À Dom Martines
Paris, ce 29 avril 1769
Ch. T. P. et T. R. Sin.
« J’ay bien reçu en son tems à Lyon votre dernière lettre du 19 février dernier jointe à celle du P. M. de Grainville par laquelle vous me mandiez de ne faire aucun travail pour l’équinoxe de mars et les raisons qui vous les faisoit suspendre à vous même, comme cela passe ma portée, je n’entre dans aucun détail la dessus et je me suis conformé à vos intentions. »
« Le P. M. de Grainville me faisoit part de son côté de la nécessité qu’il y auroit pour le bien de l’ordre de vous rendre à Paris pour y mettre tous les grades en règle sous les yeux du P. M. De la Chevalerie et de Lusignan, de votre embarras pour l’acquittement des dettes que vous avez contractées à Bordeaux, et de la nécessité de prendre des arrangemens pour que l’ordre vous fît un sort à l’avenir. »
« J’ay senti P. M. tout le fond de ses raisons, mais comme je n’avois reçu aucun éclaircissement la dessus des P. M. résidens à Paris, j’ay différé à vous répondre sur cet objet jusqu’à ce que, rendu moy même à Paris, je pus en conférer avec eux, ce que j’ay fais aussitôt mon arrivée en cette ville, j’ay trouvé les P. M. de la Chevalerie et de Lusignan très peu disposés à faire ce que le M. de Grainville demande en votre nom, et mécontens à l’excès de vos procédés envers eux et envers l’ordre. Pour me mettre au fait ils m’ont communiqué toute la correspondance tenue entre les orients de Bordeaux et de Paris depuis mon voyage de l’année dernière, je vous avoue franchement P. M. que l’on ne peut pas lire de sang froid, il semble que vous ayés cherché tous les moyens possible de mortifier le P. M. substitut que vous avez chargé vous même spécialement des affaires de l’ordre, quand vous n’auriés d’autres moyens pour connoître les hommes que ceux qui sont généraux à l’espèce humaine, pouviés vous seulement mettre en parallèle la conduitte et les sentimens du P. M. substitut avec celle du sieur Duguers. L’un jouit de la réputation la plus entière et la mieux méritée et l’autre méritoit déjà votre ressentiment par un grand nombre d’excès auxquels il s’étoit porté et dont vous étiés instruit soit par le M. substitut, soit par moy ; cependant, dès que ce dernier a paru à Bordeaux vous l’avez reçu avec la plus grande confiance quoique bien prévenu de sa mauvaise conduitte et tous les torts ont été pour le M. substitut, y a-t-il rien de plus humiliant et de plus dégoûtant pour luy, ne croyes point que ce soit mon attachement pour luy qui me donne de la prévention et m’inspire la moindre partialité, c’est sur la lecture de vos propres lettres que je vous ay jugé ainsi et on ne peut en juger autrement, il a fallu que vous devinssies la victime du sieur Duguers pour ouvrir les yeux sur son compte, j’avoue franchement que c’est ce qui fait mon grand embarras ; vous m’aves assuré si souvent que votre science vous donnoit des moyens infaillibles de connoître le cœur des hommes, que voyant à quel point vous vous êtes trompé sur cette occasion, je suis réduit à douter plus fortement que jamais d’une science qui est trop sublime pour qu’un homme sensé puisse y ajouter foy pleine et entière sur d’autres témoignages que sur le sien propre, les assurances que vous m’aves donné souvent de la vérité de la chose renouvellées depuis par le M. de Grain-ville, encouragé d’ailleurs par le M. substitut dont je connais depuis longtems l’intégrité m’ont donné asses de confiance pour entrer dans la carrière, j’ai suivi exactement et de bonne foy, tout ce qui m’a été prescrit sans en être plus heureux et je suis encore aussy disposé à le suivre dès que je verray dissiper les nuages qui se sont élevés, ne voulant point par trop de précipitation perdre le succès que je m’en suis promis, mais la confiance une fois détruitte le dégout s’en suit. Pour ne rien dire de plus et vos propres lettres tendent à la détruire entièrement quoy il falloit que le sieur Duguers vous décida à donner les choses dans le vrai, ce sont les propres termes de votre lettre, nous ne sommes donc pas Ventres dans le vray, nous sommes donc abusés, jugez vous-même ou ces réflexions doivent nous conduire et vous les faittes naître, il n’y a pas deux moyens en cette matière pour conduire au but proposé. Le vray est le seul, le but de tous est indigne de l’honnête homme, si vous ne me juges pas capable de parvenir au vray, dites le moy sans fard, je ne m’en plaindray point et tâcheray de m’en rendre digne, dans la perplexité ou nous jettent vos lettres nous sommes dans le cas d’exiger de vous des preuves non équivoques de la vérité de la chose qui nous mettent en état d’en juger par nous mêmes, montres nous sincèrement le vray chemin, prescrives les moyens le plus exact sans doutte sera heureux et alors l’ordre sera engagé à vous prouver sa reconnaissance et a prendre des arrangemens fixes pour l’avenir, ce que les MM. De la Chevalerie et de Lusignan ont fait par le passé vous répond de leur bonne volonté pour la suitte, j’y contribueray volontiers autant que mes moyens me le permettront dès que je sauray à quoy m’en tenir, on formera des établissemens solides et enfin tout sera disposé à prendre les arrangemens que vous désires, mais à présent que pouvons nous faire pour soutenir un édiffice que vous annonces vous même être bâti sur le sable ; nous sommes à Lyon 5 initiés a qui depuis plus d’un an je promets des instructions sans en avoir reçu aucune, j’y ay un nombre de sujets très convenables et tous prêts au premier signe mais à qui je me ferois un scrupule de faire faire la moindre dépense sans être sur moy même de la vérité du but ou ils aspirent, le temple de Lyon, peut en très peu de tems prendre une consistence réelle c’est à vous à en jetter les fondemens, vous y trouveres votre avantage et nous la satisfaction que nous désirons. »
« Pardonnez P. M. la franchise avec laquelle je vous écris au point ou les choses sont il faut nous expliquer de bonne foy pour fixer le sort de chacun, je ne cherche point a vous fâcher mais à être éclairé une fois pour toute, je veux pouvoir annoncer à Lyon un objet vrai et digne des honnêtes gens et non point y faire le charlatan, vous ne blâmeres point je pense ma délicatesse, les sentimens de M. de la Chevalerie et de Lusignan sont les mêmes, la dessus nous nous sommes expliqués, ils sont rebutés par vos procédés, vus pouves encore tout réparer, vos intérêts ne peuvent être placés entre meilleures mains. L’ordre reclame l’exécution de vos promesses, rien de plus juste. »
« Je ne peux faire ici un long séjour, j’ay néanmoins le tems de recevoir votre réponse et de vous en faire une a mon tour si vos affaires vous permettent de la faire aussitôt, je serai charmé avant de quitter cette ville de voir prendre un arrangement définitif et la confiance rétablie. »
« Ches Glavot, perruquier, rue le Golet-des-Bourdonnois. »
La réponse de Martines est du 8 août et c’est une de ses plus belles lettres par l’élévation des idées. — Nous en reproduirons une grande partie dans le chapitre sur la Doctrine.
Dans une autre lettre du 20 janvier 1770, Martines revient sur ses embarras d’argent :
« Je vous assure que si j’avais reçu quelques fonds des îles que j’attends d’une succession considérable que j’ai eue dans ces pays, je ne regretterai point d’aller moi-même vous installer et vous faire travailler vivement. »
Le 16 février 1770, une nouvelle lettre presque entièrement consacrée aux détails du rituel magique (4 p. in-f°) est envoyée. Nous y tirons pourtant quelques renseignements utiles sur la vie privée du maître.
« Je ne suis plus logé chez le sieur Carvallo, ancien juif, à cause de l’assassinat qu’il a voulu commettre sur sa cuisinière et cela pour vouloir en jouir. Il est livré à la justice qui l’a décrété ; on le poursuit vivement à la tournelle. C’est pour la troisième fois que cela lui est arrivé. C’est bien un malheureux hébreu perverti et non converti en ce qu’il a abjuré pour épouser une créature chrétienne. Mon adresse est dans la même rue Maison Poiraud, près la porte de la monnaie. »
« J’ai ma femme dangereusement malade. Elle fut portée imprudemment à une perte considérable hors d’état d’être soignée par la faculté, sinon que par moi en présence de quelque frère. Elle est encore alitée : mais entièrement, s’il plaît à Dieu, hors de danger. »
La lettre du 13 mars 1770 est entièrement consacrée à la magie et sera reproduite in extenso dans notre chapitre affecté à ce sujet.
La lettre du 7 avril 1770 décrit en détail l’opération magique qui a permis au maître de rappeler à la vie sa femme mourante. La fin de cette lettre est consacrée à « la chose ».
Les dettes du Maître
Enfin, nous trouvons, datée du 11 juillet 1770 une réponse en 12 articles faite par Martines aux demandes des frères de Paris. Cette pièce importante sera publiée dans notre chapitre consacré à l’œuvre de réalisation du maître. Nous détachons seulement le passage suivant qui a trait aux affaires matérielles. (L’analyse est de la main de Willermoz.)
« Le M. D. M. n’a pu répondre plutôt aux propositions, à cause de la maladie dernière de sa belle-mère qui lui a fait suspendre toute correspondance. »
« 1. Il remercie L. T. S. de ses offres qui prouvent le véritable zèle que les R. †. ont pour la chose ; il devait environ 3000 £ ; il en a acquitté la majeure partie, il reste devoir encore 1000 £ qu’il espère acquitter en se gênant encore quelque temps. Ensuite il sera libre de sa personne et pourra sortir de Bordeaux sans craindre aucun affront de ses créanciers auquel il serait exposé s’il en sortait avant d’être entièrement liquidé. »
Ainsi, un an auparavant, les frères de Paris, se méfiant de la valeur des enseignements de Martines, refusaient la pension demandée par l’intermédiaire de de Grainville. Maintenant c’est le maître qui leur donne une leçon en refusant un appui pécuniaire qu’ils ont tant fait attendre. Du reste, il suffit de lire ce document en entier, pour voir la grandeur des sentiments invoqués par Martines à l’appui de sa sincérité et de sa bonne foi.
Saint-Martin comprendra si bien les inconvénients, de parler de ces hautes questions aux ambitieux, qu’il s’isolera et refusera absolument de s’associer aux loges maç… existantes. Mais n’anticipons pas.
Le 16 décembre, Martines écrit qu’il revient de passer quelques jours à la campagne. Il s’occupe « de poursuivre vivement quelque affaire indispensable temporelle », suivant son expression. Il vient cependant de terminer un « ouvrage considérable » ce qui indique qu’il n’a pas perdu son temps pendant cette période de juillet à décembre.
Nous apprenons encore que « le maître de Saint-Martin est arrivé ici depuis huit jours pour poursuivre ses instructions et pour l’avantage de celles des R. †. »
Le reste de la lettre est consacré aux questions administratives.
Parmi les autres documents, nous trouvons une lettre de Madame Colas de Pasquallis, en date du 4 mai 1771, et demandant à Willermoz l’envoi d’une robe de soie. Ce détail est intéressant, car nous allons voir par la suite les difficultés pécuniaires qui entravent l’œuvre de réalisation de Martinès, à propos justement du paiement de cette robe de soie.
Nous voici donc à l’année 1771. Martinès a fait le voyage de Paris. Ce voyage promis depuis 1767 est enfin exécuté, et le maître demeure à l’adresse suivante : Maître de Pasqually de la Tour, aux 3 rois, rue Montorgueil, près la comédie italienne. Cette importante lettre du 25 août 1771, mérite une analyse particulière. Reproduisons d’abord in extenso le début :
« J’ai reçu, mon cher maître et ami, votre dernière lettre, que maître de Saint-Martin, mon bon ami, m’a renvoyée de Bordeaux. Je suis bien au désespoir de ne pouvoir répondre sur tout son contenu, de même que de vous assister dans votre travail prochain ; je vous conseille de le suspendre pour le moment présent, étant forcé pour des affaires de la dernière importance temporelle, de passer tout le septembre prochain à Paris ; pour faire terminer chez les ministres un projet avantageux au public, à l’État et à la nation la plus opprimée. Tous mes mémoires sont remis dans les bureaux. J’en attends le succès comme l’on me le fait espérer ; si cela a lieu, comme je le pense, il me faudra peut-être aller à Lyon, pour m’aboucher avec vous, ne pouvant vous écrire cette entreprise pour ne point éventer le secret, étant l’âme des affaires. C’est une entreprise qui est avantageuse pour les entrepreneurs et pour le public. Je compte vous mettre de part dans cette affaire comme j’y ai mis quelques-uns de vos bons amis. »
« J’ai trouvé à mon arrivée à Paris, M. et Mme de L.[3] , partis pour leur campagne. J’apprends ici qu’ils ont projeté devenir me prendre à Bordeaux. Je leur ai écrit de faire leur possible, de venir à Paris, vers la fin de septembre ; pour parler ensemble de leurs affaires. Ils ne travailleront pas de cette fois-ci, pas plus que vous. »
Martines parle encore de de Grainville et des opérations magiques. Il raconte ensuite en détail ses conversations avec l’abbé Rozier et le recommande à Willermoz. Enfin, nous apprenons que le maître est accompagné à Paris de Mtre de la Boris.
« M. de la Boris, mon second moi-même que j’ai ici avec moi, me charge de vous dire bien des choses de sa part, ainsi que M. Caignet. »
Nous arrivons pour terminer à la question de la fameuse robe de Madame.
« Quant à l’égard de la robe de Madame, envoyez-la lui à votre goût, aux pièces usitées. »
Et, en marge :
« Marquez-moi le prix de la robe et à celui qu’il faut que je remette l’argent à Bordeaux. »
Au dos de la lettre, nous trouvons cette note de la main de Willermoz :
« Taffetas broché 4/24-25 Na-P. 685 fond blanc rayé satiné rose 16 1/2 à 13 £ 214.10. Remise à M. Clairjon de Cramail à Lyon le 20 septembre 1771. — Remettre les 214.10 ci-dessus à M. Razurel, oncle et neveu, à Paris. »
Ainsi la robe de Madame de Pasquallis coûtait 214 liv. 10, somme relativement faible, que Martines ne pourra cependant pas parvenir à payer.
Pendant que nous nous occupons des détails matériels, signalons cette note dans la lettre de Martines :
« Mademoiselle, que j’ai trouvée ici en très mauvaise santé, commence à se porter un peu mieux. Elle me charge de vous dire mille choses de sa part : elle n’a point reçu les saucissons. »
Ainsi se termine ce curieux et important document, qui relate le voyage du maître à Paris.
C’est la seule lettre adressée de Paris ; la correspondance reprend de Bordeaux le 1er novembre 1771.
« Si j’ai tant tardé à répondre à toutes vos demandes et à la lettre que vous m’avez écrite touchant l’envoi de la robe que vous avez eu la bonté d’envoyer à Madame, c’est que j’ai été obligé d’être par voies et par chemins dans plusieurs villes de notre province, pour mes propres affaires domestiques. Et de plus, j’ai été obligé d’accompagner M. le chevalier d’Arc et M. l’abbé de Langeac à la Réole, pour la prise de possession du prieuré de la Réole, que ce dernier a pris. Ce dernier voyage m’a tenu plus longtemps que je ne le voulais, ce qui est cause que j’ai suspendu toutes mes correspondances. »
« Quant à l’égard du montant de la robe que vous me disiez par votre lettre de compter à Paris, à votre correspondant, je n’étais plus à Paris lorsque vous m’avez mandé votre désir. Votre lettre m’est parvenue à Bordeaux.
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« Je ne pouvais refuser d’accompagner M. le chevalier d’Arc pendant tout le séjour qu’il a fait dans notre province, par rapport à toutes les bontés qu’il a eues pour moi à mon séjour à Paris. C’est un Monsieur d’un très grand crédit de toutes les façons, étant l’oncle de notre Roi à la mode de Bretagne. »
« Quant au payement du montant de la robe de Madame, je vous demanderai s’il est possible d’ici à la foire prochaine de Bordeaux, m’étant un peu démuni d’argent pour l’arrangement de mes affaires temporelles. »
Ainsi, voilà cette malheureuse question de la robe qui reparaît. Nous la retrouverons encore.
Signalons aussi, dans cette lettre, la phrase suivante, qui vient après une nouvelle recommandation touchant la pratique magique :
« Je vous fais part que j’ai enfin obtenu la croix de Saint-Louis de mon beau-frère. »
Malgré toutes nos recherches dans les ouvrages spéciaux, il nous a été impossible de retrouver le nom de ce beau-frère dont parle Martines parmi les chevaliers de Saint-Louis.
Cette lettre nous apprend encore le départ pour Port-au-Prince de Cagnet, commissaire général de la marine et cousin de Martines.
« Je vous instruis encore que j’ai livré les patentes constitutives à mon cousin Cagnet. »
Enfin, ne laissons pas passer, sans le signaler, le post-scriptum :
« Le maître de Saint-Martin travaille toujours pour nous. »
Comme on le voit, Saint-Martin prend une part de plus en plus active aux travaux théoriques et pratiques de Martines. Ce point sera encore davantage mis en lumière par la suite de la correspondance du maître ; plusieurs lettres sont en effet de l’écriture de Saint-Martin, qui prête ses bons offices à titre de secrétaire. C’est en particulier le cas de la lettre du 13 janvier 1772, dont nous allons nous occuper maintenant.
Cette lettre, très courte (deux pages in-8°), ne renferme que des renseignements d’ordre administratif pour le choix des membres de la Loge de Lyon et quelques conseils relatifs à la pratique.
Il en est de même de la lettre du 24 mars 1772, toujours de l’écriture de Saint-Martin, écrite à la suite de l’échec de Willermoz dans ses expériences.
Par contre, la lettre des 17 et 30 avril 1772 est précieuse pour l’histoire du Martinisme, car elle relate l’initiation de Saint-Martin (17 avril 1772). Nous reproduisons photographiquement la moitié de cette lettre, vu son importance.
L’autre moitié est de l’écriture de Saint-Martin, sauf les six dernières lignes, et nous allons maintenant l’analyser.
Au début il est question du prochain départ du maître.
« J’ai à vous faire part de mon départ très prochain pour Saint-Domingue. Les raisons qui m’y déterminent sont de mettre définitivement un ordre solide dans mes affaires temporelles et d’assurer un sort à tous les miens, afin de me donner ensuite tout entier à la chose pour ma propre satisfaction et celle de mes émules ; j’ai dans cette colonie deux beaux-frères puissamment riches, dont j’ai lieu d’attendre des secours considérables ; on m’a fait en outre dans ce pays-là une donation d’un grand bien que je vais retirer des mains d’un homme qui le retient injustement ; je compte que toutes ces affaires s’expédient promptement et que je ne serai pas un an sans revoir la France. Je me recommande toujours à vos bonnes prières et je demande à l’éternel qu’il veille sur mes jours en temps immémorial. »
On voit que ces raisons sont sérieuses. Ainsi tombent les obscurités qui entouraient jusqu’à présent pour la critique ce voyage de Martines.
Mais tout ce début est de l’écriture de Saint-Martin ; Martines a pris la plume, sans doute à l’insu de son secrétaire, pour reparler de cette fameuse robe :
« Ne tirez aucune peine de votre dû des deux cent quarante livres que je vous dois de la robe que vous avez eu la bonté d’envoyer à Madame ; vous serez le premier payé dès mon retour, ma lettre vous servira de caution ou garantie. »
Signé : de Pasqually de la Tour.
Cette signature mise au bas d’un papier destiné à servir de garantie semble indiquer que c’est bien là le nom légal de Martines.
Là s’arrête la correspondance échangée en France, la lettre suivante du 12 octobre 1773 (c’est-à-dire plus d’un an après la précédente) est datée de Saint-Domingue et nous donne d’intéressants détails sur les travaux du maître pendant ce laps de temps.
« Quoique des affaires temporelles m’aient forcé à passer dans la colonie ; je n’ai jamais perdu la chose de vue ; j’ai toujours mené le temporel ensemble avec le spirituel. Par ce moyen j’ose me flatter que tout ira bien. L’éternel connaît mes vues dans l’un et dans l’autre, aussi protège-t-il ma personne en la conservant dans la plus parfaite santé, ce qui me mettra à même de terminer ici les affaires de la succession que je réclame dans cette colonie et de retourner le plus promptement possible en France, pour vivre au sein de nos enfants spirituels et les dédommager avec usure du temps perdu. »
Le maître a rédigé, dit-il, les instructions de tous les grades et tous les tableaux.
Il aborde ensuite des détails administratifs, parle de l’initiation de la sœur de Willermoz et espère toujours un prompt retour en France.
« Je compte s’il plaît à Dieu, avoir terminé mes affaires temporelles dans ce pays vers la fin de l’année prochaine, temps où je me propose de passer en France, outre de quelque circonstance imprévue. »
Hélas, tous ces beaux projets seront bientôt anéantis !
En finissant sa lettre, le maître annonce son intention de déposer tous ses papiers entre les mains du Maître Caignet de Lester, commissaire général de la marine et son cousin.
« Le T. P. M. Caignet qui est accablé par le poids des affaires de son état, me charge de vous dire mille choses de sa part, les unes plus belles que les autres. »
« Comme mon intention est de laisser en dépôt tous mes originaux dans ses mains par des raisons puissantes à ma connaissance, c’est une raison de plus pour que vous établissiez avec lui votre correspondance. »
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« Les affaires civiles vont ici très lentement, malgré la force des grandes protections ; cependant, je n’ai pas loin à attendre pour les terminer d’une façon ou d’autre. »
Willermoz suit les conseils de Martines puisque nous pouvons lire au commencement de cette lettre la note suivante :
Reçu le Samedy 29 janvier 1774 — Répondu le 30 — écrit le même jour au Me Caignet de Lester.
Le 24 avril 1774, Martines adresse du Port-au-Prince une nouvelle lettre à Willermoz.
Tout d’abord, il l’encourage au sujet de ses expériences ; puis il aborde encore des questions d’ordre administratif et lui demande des renseignements au sujet d’une entreprise de la Loge de France à laquelle le nom de W. se trouve mêlé. En somme, lettre purement administrative et dont nous aurons à nous occuper plus tard.
Nous arrivons maintenant à la dernière lettre de don Martines, écrite un mois avant sa mort et datée du Port-au-Prince le 3 août 1774.
Cette lettre débute par l’annonce de l’envoi des rituels de l’Ordre par l’intermédiaire du F. Timbale. Il nomme ensuite le T. P. M. Caignet de Lester comme Grand M. R † chargé de recueillir sa succession spirituelle dans la direction de l’Ordre. Voici enfin des détails qui nous intéressent plus particulièrement pour l’instant :
« Je suis avec la fièvre au moment que je vous écris cette lettre d’avis, occasionnée par deux gros clous, un au bras gauche et l’autre à la jambe droite. Je n’écris à personne ne le pouvant absolument. »
Mort du Maître
Ce sont là les derniers renseignements donnés par Martines touchant sa santé. Au dos de cette lettre, nous trouvons les précieuses indications suivantes de la main de Willermoz.
Dom (avec un m) Martines de Pasqually
du Port au Prince le 3 août 1774
Remis le 5 novembre 1774 avec celle de M. Caignet
Répondu le 31 janvier 1775
Et d’une autre encre
il y est mort
le 20 septembre 1774
Lettres de Dom Martinis
De Pasqually Delatour
De Bordeaux
Remises de 1767 en 1772 et 1774
Ces renseignements se trouvent confirmés par le précieux feuillet placé au début de la correspondance de Martines et ainsi libellé.
Lettres de Dom Martines de Pasqually
de la Tour de Bordeaux
Remises de 1767 à 1772 et 1774
Il est mort le mardi 20 septembre 1774
à port au prince en amérique
Il a nommé le P. M. Caignet de Lester
son successeur.
Il était parti de Bordeaux le 5 mai 1772.
*
* *
Enfin, nous trouvons à la fin de la correspondance une lettre de madame veuve Martines que nous ne saurions mieux analyser qu’en reproduisant la note de Willermoz, placée au dos de cette lettre.
Madame Colas veuve de Pasqually de Bordeaux
du 14 Mai 1779
Elle nous fait part qu’elle va se marier au M. d’Olabarat. Mariée en juillet suivant.
Son fils Jean Anselme né le 17 juin 1768 est au collège à Lescar près de Pau. Elle recommande l’abbé Fournier.
Répondu le 12 juin.
Pour être vrai, il faut dire que, dans sa lettre, Mme de Pasqually a donné des renseignements moins complets que W. dans la note.
Nous voilà donc parvenu aux termes de notre analyse ; nous avons suivi de notre mieux la vie de Martines, au jour le jour, d’après ses lettres.
[1] Remarquons cette sentence d’un juge qui reconnaît la validité d’un tribunal secret. Comme trait de mœurs, c’est bien curieux et nous ne pourrions nous vanter à notre époque d’un tel libéralisme.
[2] Ce passage est précieux car il montre, qu’à l’encontre de l’opinion de presque tous les critiques, Martines était catholique et non israélite. Le mot « ma religion » indique de plus qu’il n’y a pas eu conversion.
[3] Lusignan
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