Jean-Baptiste Willermoz - 9 Cahiers de Doctrine - Cahier numéro 1
Instruction particulière et secrète à mon fils pour lui être communiquée lorsqu’il aura atteint l’âge de parfaite virilité, si alors il se montre digne de la recevoir
AVERTISSEMENT A PROPOS DE LA VERITE ET DE LA JUSTICE
Le péché originel est dû aux terribles effets de la chute de l'homme
Mon fils,
Vous voilà parvenu à l'âge où l'homme, dont l'éducation a été aussi soignée que la vôtre, a acquis, dans le cours des études qu'il a faites des diverses sciences humaines les plus recommandables, un fond de connaissances suffisantes pour le diriger avec sagesse et satisfaction dans toutes les époques de sa carrière temporelle ; où il a dû, s'il a su mettre à profit les solides et lumineuses instructions dont son âme a été abondamment nourrie, s'affermir dans l'amour de sa religion et des vrais principes de la sublime Morale Chrétienne. Vous voilà, dis-je, parvenu à cet âge où l'homme ainsi préparé, sentant sa raison pleinement développée, éclairée par l'expérience des premières années de sa virilité, et fortifiée par l'emploi qu'il a déjà fait de ses facultés intellectuelles, s'interroge plus sérieusement qu'il ne l'avait fait jusque-là sur sa vraie nature essentielle, sur son origine, sa destination et sa fin ; sur la nature, l'époque et les terribles effets de la chute de l'homme, d'où dérivent le péché originel, son universalité dans l'espèce et toutes ses funestes conséquences ; sur les moyens de retour et de réhabilitation d'où dérivent aussi ses devoirs envers son Créateur et son rédempteur, envers lui-même, et envers les autres hommes ; et enfin sur ses rapports originels avec le principe unique et absolu de toutes choses, qui le constituent essentiellement image et ressemblance de Dieu, et avec tous les Êtres créés visibles et invisibles, bons et mauvais, qui actionnent continuellement sur lui, dans sa forme matérielle et dans l'immensité de l'espace universel.
L’homme éprouve le besoin d'étendre le cercle de ses connaissances
J'ai lieu de penser, Mon Fils, que vous éprouvez déjà ce besoin impérieux, si commun parmi les hommes réfléchis, d'étendre le cercle de vos connaissances et d'apprendre à vous mieux connaître. Si ce désir, si louable en apparence, vous était suggéré par une vaine et stérile curiosité, je vous plaindrais beaucoup, surtout s'il venait à être satisfait ; car la vérité est un juge terrible qui venge tôt ou tard le mépris que l’homme léger et inconséquent a eu pour elle, lorsqu'elle lui a fait la faveur de se manifester à lui. C'est elle-même qui au premier instant qui suivra la fin de votre vie temporelle vous présentera le tableau fidèle du bon ou du mauvais usage que vous aurez fait de ses manifestations gratuites. Plus elles auront été spéciales pour vous, importantes pour votre instruction et abondantes, plus aussi vous resterez convaincu de l'énormité de votre âme si vous n'avez pas exactement conformé votre croyance et votre conduite temporelle aux peuples et aux conseils que vous aurez reçus d'elle. A l'aspect de ce tableau vous deviendrez votre propre juge, et si votre conscience éclairée par elle s'élève alors contre vous, effrayé de sa clarté vous fuirez cette sainte vérité, vous vous éloignerez d'elle avec un sentiment d'horreur contre vous, vous reconnaissant indigne d'habiter son sanctuaire ; la justice même que vous aurez provoquée par vos outrages fera éclore en vous ce sentiment profond de votre indignité qui commencera votre supplice. C'est alors que commenceront aussi ces regrets trop tardifs et inutiles, ces pleurs, ces gémissements, ces grincements de dents dont l'annonce aura été méprisée. C'est alors que s'allumera contre vous ce feu spirituel qui dévore l'âme sans la consumer, et qui ne s'éteindra pour vous qu'après que vous aurez payé jusqu'à la dernière obole votre dette à la justice, ainsi que l'a assuré celui qui est la vérité même.
Les anciens sages éprouvaient longtemps leurs disciples avant de les admettre aux initiations secrètes
Ainsi avant de vous livrer à aucun désir d'obtenir des connaissances particulières et secrètes, sondez scrupuleusement le fond de votre cœur et les dispositions intimes de votre âme, pour vous assurer, autant qu'il dépend de vous, d'une ferme et constante volonté d'en user pour la plus grande gloire de Dieu, et pour votre bien spirituel. Sachez réprimer, sachez contenir dans de justes bornes votre curiosité, jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement épurée par des saints motifs qui la rendent un désir légitime. C'est pour cette raison que les anciens sages, possesseurs et professeurs des sciences divines, éprouvaient si longtemps et par toutes forces de moyens leurs disciples, avant de les admettre aux initiations secrètes.
Mais si vous éprouvez ce vrai besoin de l’âme qui tend sans cesse à s'élever vers le principe unique de tout bien, pour s'unir plus intimement à lui, si vous éprouvez cet amour ardent de la vérité qui ne fait désirer à l'homme de nouvelles lumières que pour l'affermir dans sa foi et la rendre inébranlable au milieu des plus rudes attaques, avec le secours de celui qui la donne. Si c'est enfin par l'unique désir de devenir meilleur, plus utile aux autres hommes et d'acquérir de nouvelles forces pour mieux remplir tous vos devoirs. Ah Mon Fils ! Dans ce cas je rends de nouvelles actions de grâces à cette divine providence qui, vers le milieu de ma carrière temporelle, m'a conduit comme par la main et par des voies inattendues à l'entrée du sanctuaire de la vérité, qui m'y a puissamment soutenu par de nouvelles faveurs et m'a donné les moyens de pouvoir concourir à l'accomplissement de ses desseins sur vous, si vous savez vous rendre digne de sa protection.
J’AI LONGTEMPS DESIRE UN FILS POUR LUI TRANSMETTRE LE DEPOT QUI M’A ETE CONFIE
Celui qui lit au fond des cœurs sait que je lui ai demandé longtemps un fils préparé dans sa miséricorde, auquel je pût remettre un jour sans danger pour lui, et sans indiscrétion de ma part, le dépôt qui m'a été confié en son nom. Je vois avec reconnaissance éclore aujourd'hui l'aurore de ce jour désiré, puissiez-vous remplir un jour mes espérances et mériter de plus en plus que ce précieux dépôt s'accroisse dans vos mains lorsque le temps sera venu qu'il y parvienne.
Il n’existe qu'une seule religion vraie, même si les formes du culte ont éprouvé des changements à certaines époques et à certains âges du monde
Quant à présent, il s'agit, mon fils, de préparer votre esprit par des explications de la plus haute importance, et très peu connues aujourd'hui quoiqu'elles le fussent beaucoup dans les premiers siècles du christianisme, à apprécier dans sa juste valeur la doctrine religieuse et chrétienne dans laquelle vous avez eu le bonheur d'être élevé. Ce n'est pas une Religion nouvelle que je vous présenterai : il n'y en a pas deux, et comme il n'y a qu'un seul Dieu, de même il n'y a et ne peut exister qu'une seule religion vraie, quoique les formes du culte aient éprouvé des changements à certaines époques et à certains âges du monde, jusqu'à ce que ce culte ait été définitivement perfectionné par le divin fondateur du christianisme et par ses apôtres. Ainsi ce sera toujours la même religion que vous professez, mais vous en trouverez dans cette instruction des développements inattendus, sublimes et lumineux qui vous la feront de plus en plus chérir et respecter.
La religion fut donnée à Adam après sa chute comme moyen de retour et de réhabilitation
Cette religion unique dans son essence, ainsi que le culte temporel qui en est la partie essentielle, ne fut ni connue, ni nécessaire à l'homme avant sa chute puisque étant alors dans une forme glorieuse, incorruptible, et dans la plénitude de la lumière, il n'avait qu'un culte purement spirituel à opérer. Mais la connaissance en fut donnée comme une planche dans son naufrage, au premier homme terrestre, incorporé dans la matière, que nous nommons Adam, après qu'il eût reconnu et confessé sans aucune réticence l'énormité de son crime, et manifesté son sincère repentir ; elle devint dès lors pour lui et pour sa postérité un moyen de retour et de réhabilitation, lorsque chacun aurait individuellement complété son expiation.
La puissance démoniaque attaque la religion à travers Caïn. Abel s’y oppose et offre sa forme corporelle en holocauste, comme le fera plus tard Isaac, fils d’Abraham
Ce culte réparateur que la divine miséricorde venait d'enseigner à l'homme déchu, qui devait être au milieu des temps rétabli, élevé à la plus haute perfection par le divin réparateur universel, fut violemment attaqué par la puissance démoniaque ; elle entreprit dès lors d'effacer le culte divin dans la postérité de l'homme, d'y établir, d'y faire dominer le sien propre en flattant ses penchants, ses passions, sa cupidité afin de pouvoir usurper sur elle un empire absolu ; et dans ce fol espoir, elle s'empara de l'esprit de Caïn, premier fils charnel d'Adam, dont les penchants naturels lui étaient favorables, pour en faire son premier ministre. Mais il fut puissamment défendu et conservé par le juste et pur Abel, qui connaissant les desseins abominables de son frère, rendait nuls par les opérations de son culte pur, les efforts de sa puissance perverse, et offrit volontairement au Seigneur sa forme corporelle en holocauste pour la parfaite réconciliation, jusque-là incomplète de son père, et fut par-là dans cette première race, le premier type de la grande réconciliation universelle, comme dans la seconde place sous Abraham, Isaac fils de la promesse en devint le second type.
La punition des hommes à l’époque de Noé. Noé et sa famille épargnés
Dans ce premier âge du monde, les connaissances religieuses, dont le dépôt fut spécialement conservé et transmis dans la descendance directe des premiers nés des patriarches, furent enseignées sans mystère à tous les hommes, afin qu'aucun ne péchât par ignorance. Mais la publicité de l'instruction éclairant tous les esprits sur la nature essentielle du Bien et du Mal, ainsi que sur la grande puissance des principes de l'un et de l'autre, et s'appliquant successivement à des âmes déjà séduites et dépravées, rendit par le laps du temps la perversité générale et aggrava le crime de la multitude qui avait abusé de ses connaissances. Le Prince des Démons qui était parvenu à se faire rendre par cette multitude égarée le culte et l'hommage qu'elle refusait au Créateur, enorgueilli par un si grand succès crut dans son aveuglement avoir triomphé de Dieu même. A l'époque du sage Noé, la corruption étant devenue générale et portée au plus haut degré, la justice divine dut exercer une punition effrayante qui étant salutaire pour les coupables, humilia en même temps l'orgueil insolent du séducteur des hommes, en lui faisant sentir la nullité de ses attaques contre celui dont la puissance supérieure lui enlevait ses trop crédules victimes. La miséricorde de Dieu, agissant de concert avec sa justice, et voulant par un même châtiment préserver la race future de la contagion de l'exemple qu'elle punissait, ne put effacer de dessus la terre le crime abominable qui l'avait inondée qu'en effaçant de sa surface la race entière qui s'en était souillée. Noé, le juste Noé, qui fut le dixième et le dernier Patriarche de cette première race et qui, par ce nombre saint, forme un type particulier très remarquable, fut seul excepté avec sa famille du fléau universel et conserva dans toute sa pureté le dépôt des sciences divines qu'il transmit par Sem à sa postérité.
L’axe central de la Terre est déplacé, la durée de la vie humaine est abrégée
Acette terrible époque qui ne s'effacera jamais de la mémoire des hommes malgré la mauvaise foi des incrédules de tous les temps, et qui sont malheureusement si multipliés de nos jours, il se fit une prodigieuse révolution dans toutes les parties de la création universelle. L'action des puissances célestes préposées dès le principe des choses par le Créateur pour le maintien de l'ordre et de sa conservation pendant toute la durée qui a été prescrite par sa volonté et par sa justice, en fut violemment troublée. Mais elle fut bien plus considérable sur le corps général terrestre qui en fut ébranlé jusque dans ses fondements. Son axe central en fut déplacé. Le Principe de la vie des corps fut notablement altéré, et la durée de la vie humaine fut fort abrégée. La terre elle-même, avec toutes ses puissances, infectée du culte démoniaque et des crimes abominables dont elle avait été le théâtre, fut maudite par décret du Créateur qui lui imprima des signes ineffaçables de cette malédiction, et malgré la réconciliation qui lui fut accordée par l'effet des instantes prières de Noé, elle ne recouvrera jamais ses premières vertus.
Un changement considérable dans l'instruction religieuse
L'instruction religieuse éprouva donc aussi après le déluge, en restant néanmoins essentiellement la même, un changement considérable dans sa forme et dans son mode de distribution. Il était devenu nécessaire dans les vues de la divine miséricorde comme un moyen de préserver, ainsi que je vous l'ai déjà dit, la nouvelle génération du danger de retomber dans l'abus criminel que la première avait fait de ses connaissances dans la science et le culte divins.
Ce changement devint alors d'autant plus nécessaire que la puissance démoniaque humiliée et comme atterrée par le déluge qui venait de lui enlever ses adorateurs, se livrant à la rage de l'orgueil humilié, redoubla ses efforts pour s'en former de nouveaux.
Cham séduit par le chef des rebelles comme l’avait été Caïn, Sem fidèle à Dieu comme l’avait été Abel, l’homme ne doit pas céder à la séduction des sens qui sont autant de portes par lesquelles il reçoit les attaques du démon
Dans cet espoir, le prince des démons, aveuglé par l'orgueil, croit toujours remporter une victoire sur la divinité même, chaque fois qu'il réussit à séduire quelqu'un de ces êtres dégradés (hommes) que sa miséricorde protège toujours, quoiqu'ils ne lui présentent plus que son image défigurée. Ce chef de rebelles qui rode sans cesse autour de l'homme, comme un lion furieux qui quête l'instant de pouvoir saisir sa proie pour la dévorer, dirigea ses attaques sur la famille même de Noé ; il parvint à séduire Cham, son troisième fils, et lui fit répéter presque sous les yeux de son père le crime abominable de Caïn. C'est ainsi que dès le commencement de la seconde postérité matérielle de l'homme, le type effrayant du mal se trouva remplacé par Cham à côté du type consolant du bien, figuré par Sem, comme il l'avait été au commencement de la première par Caïn à côté du juste Abel qui fut remplacé par Seth. Ces types et une multitude d'autres dont nous aurons l'occasion de parler à mesure que les plus remarquables se présenteront. Car ils ont été constamment rappelés et renouvelés sous diverses formes dans les différents âges du monde. Jusqu'au temps qu'ils ont reçu leur parfait accomplissement par la mort volontaire du Messie promis, du fils de Dieu, du Verbe divin incarné, mort, qui fut l'effet de l'action perverse de la puissance démoniaque dont l'ignorance, l'orgueil et la perversité du peuple juif, de ses prêtres et de ses docteurs furent le type et les instruments, et à laquelle le fils de Dieu ne se soumit que pour la condamnation de cette puissance maudite en faisant éclater la sienne par sa résurrection glorieuse - tous ces types dis-je ont été permis, établis et répétés pour avertir l'homme de se tenir sans cesse en garde contre les efforts et la puissance du démon. Pour nous apprendre que l'homme matériel, né dans et par la concupiscence de la chair, est sans cesse exposé à la séduction par ses propres sens qui sont autant de portes par lesquelles il reçoit les attaques du démon, parce que, depuis sa chute, la matière et les sens sont le domaine de son ennemi, ainsi qu'il ne pourra que succomber s'il lui ouvre ses portes, par lesquelles une fois introduit il attaquera bientôt victorieusement son être intelligent qui en occupe le centre. C'est pourquoi la raison, comme la religion, recommandent si fortement à l'homme de veiller sans cesse sur ses sens qui sont contre lui les moyens les plus terribles de la séduction. De là l'origine et la nécessité à tout âge, surtout dans l'âge de l'effervescence des passions, des jeûnes, des abstinences et des privations de toute espèce les plus propres à calmer leur excessive irritabilité, et principalement aux époques et dans les circonstances consacrées par la religion, où l'homme veut rentrer plus sérieusement en lui-même et s'unir plus intimement à son créateur.
L’homme est entièrement libre malgré sa chute et sa dégradation ; il est sans cesse exposé à la puissance du principe du bien et à la puissance du chef des esprits rebelles, principe du mal
Ces types lui apprennent en même temps qu'il a été créé libre et que malgré sa chute et sa dégradation il conserve encore son entière liberté pour en faire l'usage que sa propre volonté déterminera. Que par les funestes conséquences de sa chute, il reste exposé pendant toute la durée de sa vie temporelle, et jusqu'à son dernier jour, à l'influence des deux puissances qui l'environnent qui actionnent sans cesse sur lui et multiplient leurs efforts chacune de son côté pour le fixer invariablement à soi. Je veux dire la puissance du principe du bien qui lui a donné l'être, qui le conserve, et dont l'amour agit puissamment sur lui jusqu'au dernier instant où il peut mériter encore par sa correspondance à la grâce qui n'est autre chose que l'amour de Dieu pour toutes ses créatures, et la puissance du chef des esprits rebelles qui, pur dans son origine, s'est fait par orgueil le principe du mal. Ils lui apprennent encore que l'homme parfaitement libre sous l'action de ces deux principes peut s'unir plus ou moins intimement par sa bonne ou mauvaise volonté à celui des deux qu'elle préfère, selon que, par une habitude plus ou moins constante, délivrant sa volonté propre à la volonté du principe pour lequel elle sent plus d'attrait, elle aura contracté plus d'affinité avec lui, au point qu'au dernier instant de la vie, la volonté de l'être puisse s'unir et s'identifier pour ainsi dire avec celle du principe préféré. C'est dans ce sens qu'on peut dire avec quelque raison que l'habitude devient une seconde nature. Ô bonheur ineffable si l'être a fait un bon choix ! Ô malheur effrayant s'il l'a fait mauvais !
Punition du crime de Caïn, Cam séparé de ses frères et relégué dans la partie méridionale de la terre car il a commis le péché contre le saint esprit en rendant hommage aux puissances du mal
Le crime de Caïn ne resta pas longtemps impuni. Ce crime sur lequel, pour ne pas éclairer indiscrètement la multitude, Moïse a jeté, ainsi que sur beaucoup d'autres faits importants, un voile très épais dans son histoire des faits relatifs à l'origine des choses temporelles, attira sur son auteur et sur sa postérité, qui ne tarda pas à suivre son exemple, le juste châtiment dont elle éprouve encore les effets. Noé reçut ordre du Créateur de diviser la terre suivant ses régions, de la partager entre ses fils et de séparer Cham de ses frères. Par suite de cet ordre, Cham fut relégué dans la partie méridionale de cette division terrestre que l'écriture sainte présente dans les psaumes et ailleurs comme le centre de l'action du mal, comme le foyer principal de la puissance démoniaque. Il s'y rendit avec sa famille, chargé de la malédiction de son père, qui fut le signe sensible de la malédiction de Dieu. Or, si la faute de Cham n'eût été autre que celle qui a été décrite par Moïse, qui consistait à avoir surpris son père en état de nudité matérielle, pendant un sommeil provoqué par la boisson du vin et à l'avoir montré à ses frères en cet état, on ne pouvait penser, d'après les notions qu'il a plu à Dieu de nous donner sur sa justice toujours tempérée par sa grande miséricorde, qu'une faute de ce genre, toute grave qu'elle fût, que cet acte indécent et irrespectueux ait mérité un châtiment si sévère pour le coupable, et qu'il s'étendit sans fin sur sa postérité. Nous devons donc conclure, avec les traditions orales qui nous ont transmis le fait, que le crime de Cham fut énorme, car le plus grand qui soit possible à l'homme est de se rendre par cupidité pour les jouissances temporelles, l'adorateur et l'esclave du démon, de l'irréconciliable ennemi de Dieu et des hommes, puisque le divin rédempteur a déclaré dans son évangile que ce crime était le seul irrémissible, car c'est nier en effet le saint esprit que de rendre son hommage à la puissance qui le combat.
L'instruction religieuse change de forme ; elle est conservée pure et intacte dans la lignée de Sem et de sa postérité, avec Énoch qui forme neuf disciples avant sa disparition
En voulant vous faire connaître les vrais motifs du changement qui survint après le déluge dans la forme de l'instruction religieuse des peuples, je me suis laissé entraîner dans divers autres détails qui semblaient s'éloigner du sujet ; mais ils ne seront pas inutiles pour la vôtre particulière, si vous les méditez attentivement. Je reviens donc à l'objet principal dont je m'étais écarté.
L'instruction religieuse changea de forme, mais non pas d'objet. Elle avait été généralisée et adoptait à peu près une forme similaire pour tous les hommes sous la première génération. Les principaux chefs des familles en étaient les gardiens et les professeurs ; mais ils la corrompirent et en abusèrent, et leurs familles suivirent leurs traces et leurs exemples ; elle se conserva pure et intacte dans la seule lignée directe patriarcale bénite dans la personne de Sem et de sa postérité, Énoch, le septième de cette lignée, qui par son rang septénaire fut un type particulier de l'action directe de l'esprit saint, fit ses efforts pour rétablir dans sa pureté primitive le grand culte divin. Il forma neuf disciples dont il fut le point central qu'il laissa après lui pour arrêter le torrent et le débordement universel des passions, des vices, et du culte démoniaque qui prévalaient déjà avec des progrès effrayants. Et ayant accompli l'œuvre pour laquelle il avait été envoyé et son type particulier, il quitta la terre et disparut. Après la disparition du saint Énoch le mal alla toujours en croissant, jusqu'à ce qu'enfin les trésors de la miséricorde étant pour ainsi dire épuisés, la justice divine s'appesantît d'une manière terrible sur l'universalité des coupables, pour la honte et la molestation de la puissance ennemie qui les avait séduits.
L'ignorance des prétendus savants à propos des premiers hommes
C'est ici le moment de vous faire remarquer combien est grande et absurde l'ignorance des prétendus savants de nos jours, de ces esprits légers et superficiels, qui, dédaignant tout examen des bases fondamentales sur lesquelles ils devraient coordonner leurs idées pour en avoir de justes, qui n'affectant que du mépris pour toutes les connaissances historiques et religieuses qui condamnent, prétendent et soutiennent avec une arrogance ridicule que les hommes du premier âge habitant les forêts, ont existé dans une ignorance absolue de tous principes de religion et de sociabilité, que c'est la peur et le sentiment des maux qui leur a donné la première idée d'un être supérieur et bon capable de les protéger, ou malfaisant qu'il fallait apaiser par des sacrifices et des victimes, et qu'ils ont été vêtus comme des sauvages et des cannibales, assimilés aux bêtes féroces sans autres guides que le sentiment de leur existence et l'instinct de leurs besoins. Qu'ils sont à plaindre ces orgueilleux ignorants de ne pas sentir qu'ils sont eux-mêmes sous le joug de la puissance infernale dont ils se rendent les suppôts, que leur orgueil leur prépare le même châtiment dont la justice a frappé les premiers, avec cette seule différence que leur profonde ignorance des choses divines ne leur permet pas de se rendre aussi criminels que l'ont été ceux qui en avaient sciemment abusé. Quant à vous, reconnaissez avec nous que les hommes du premier âge ont eu tout le complément possible des connaissances qu'il leur importait d'avoir, qu'ils ont mieux connu les opérations divines pour la création universelle, la grandeur originelle de l'homme et les suites funestes de sa chute que ne connaît pas aujourd'hui la multitude, parce que depuis l'avènement temporel du divin rédempteur des hommes, cette connaissance lui est moins nécessaire, mais que plus ils ont été près du berceau du monde et de l'époque de la chute de l'homme, plus aussi la miséricorde divine leur a prodigué de puissants secours pour les aider à se relever et rendre par une fidèle transmission et leur exemple le même service à leurs descendants. C'est ce dont la lecture attentive des saintes écritures ne permet pas de douter puisqu'on y voit, sous les patriarches de la première et de la seconde génération, de fréquentes communications des députés divins avec eux et avec les hommes justes de leur temps.
Noé, dixième et dernier patriarche de la première génération depuis Adam
Noé fut le dixième et le dernier patriarche de la première génération depuis Adam par son nombre dénaire, dont la valeur vous sera expliquée ailleurs, avec celle des autres nombres de la décade, il est un type de l'action de l'esprit créateur qui, selon le récit de Moïse, était porté sur les eaux, ayant en soi les principes de toutes les choses créées ; de même aussi, Noé flottait au-dessus de la terre porté par les eaux du déluge dans l'arche où il avait enfermé avec lui les principes et les germes de toutes les nouvelles générations.
L’origine du droit d’aînesse, droit injuste
Il avait reçu de ses prédécesseurs la connaissance des sciences divines dans leur pureté primitive et en avait fait un saint usage puisqu'il fut trouvé juste. Il instruisit fidèlement ses trois fils, mais il en transmit le dépôt sacré à ses descendants par Sem, son fils aîné, qui le reçut avec la bénédiction patriarcale. Cette bénédiction, signe sensible et gage de la bénédiction divine, que le patriarche ne pouvait donner qu'à un seul de ses enfants, à celui qui était élu de Dieu, et ordinairement à l'aîné, était l'acte exprès de la transmission qu'il lui faisait de ses connaissances et de ses pouvoirs, lorsqu'il présentait la fin très prochaine de son action temporelle ; elle était donc la portion la plus importante et la plus désirée de son héritage puisqu'il ne pouvait plus souhaiter à ses autres enfants que des biens et des jouissances matérielles ; comme on le voit dans la conduite d'Isaac envers ses fils Jacob et Esaü, dans la grande joie de l'un, et le désespoir de l'autre. C'est de là, c'est de cette origine sacrée, qu'est provenu l'usage que l'orgueil a établi parmi les hommes, et qui règne encore impérieusement dans la classe des hommes riches, d'instituer leurs fils aîné héritier universel, et de dépouiller presque entièrement tous les autres. Mais comme ce droit de convention humaine ne peut plus s'appliquer qu'à des biens matériels et n'est plus appuyé sur ses bases essentielles primitives, ni sur aucune puissance virtuelle dans l'héritier, il n'a produit qu'injustices, plaintes et dissensions.
La division de la connaissance en plusieurs parties distinctes, l'origine des anciennes initiations secrètes, les privilèges du grand prêtre général de la famille humaine
J'ai déjà dit qu'après le déluge l'instruction religieuse avait changé de forme la prévarication de Cham, dont l'exemple fut imité par son fils Cainan, qui le transmit aussi à sa postérité, fit encore sentir davantage la nécessité de la classer, de la resserrer dans de justes bornes et de la distribuer avec plus de circonspection. Dès lors elle fut divisée en plusieurs parties distinctes :
1° L'enseignement de la doctrine dogmatique fondamentale et du culte intérieur étant reconnu nécessaire à tous fut destiné à tous sans exception.
2° La connaissance historique des causes originelles et des faits relatifs à la création de l'univers temporel et à sa destination, du but primitif de la création de l'homme général, de ses fonctions temporelles dans son premier état, de sa chute et de ses suites déplorables, enfin, des moyens d'opérer le culte extérieur pour les besoins particuliers, fut concentrée dans un petit nombre d'hommes choisis et réservée aux chefs des grandes familles, après qu'ils eussent été suffisamment éprouvés. C'est là où se trouve l'origine des anciennes initiations sécrètes, plus ou moins dégradées et corrompues, suivant le génie des peuples qui les adoptèrent, dont on retrouve des vestiges dans toutes les parties du monde, qui ont même servi de bases à la bonne mythologie, qui furent dénaturées partout ; mais qui fut conservée pure dans la sainte filiation patriarcale, et dont la tradition transmise d'âge en âge est parvenue jusqu'à nous.
3° La connaissance des lois cérémonielles, des sacrifices et des opérations sécrètes du grand culte divin, et celle des grands noms divins dont l'invocation faite par l'opérant, constituait sa virtualité. La force et les grands résultats de ses opérations furent exclusivement attribués et réservés au seul chef patriarcal, qui devint le grand prêtre général de la famille humaine, et à ses successeurs.
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