Jean-Baptiste Willermoz - 9 Cahiers de Doctrine - Cahier numéro 6
DU LIBRE ARBITRE DE TOUS LES ETRES SPIRITUELS EMANES ET DES INTELLIGENCES HUMAINES, ET DE LA GRANDE ET IMPORTANTE DIFFERENCE ENTRE LEUR ETAT D'EMANATION ET LEUR ETAT D'EMANCIPATION
Dieu a émané de son centre divin des multitudes innombrables d'êtres spirituels qui sont dotés du libre-arbitre
Dieu ayant donc émané de son centre divin des multitudes innombrables d'êtres spirituels, ces êtres ont été dotés par leur émanation des trois facultés de pensée et d'intention, de volonté et d'action spirituelle, qu'ils ont puisé avec l'existence dans leur principe générateur. Ils sont dotés nécessairement de ces trois puissantes facultés, afin que par leur concours, ils puissent rendre librement un hommage, qui en raison de cette liberté, puisse tout à la fois être plus agréable au créateur et assurer leur propre bonheur.
Avec l'émanation qui leur donne hors du centre divin une existence individuelle, éternellement distincte et indestructible, ils reçoivent en même temps des lois, des préceptes et des commandements divins qui sont en rapport avec leurs trois facultés spirituelles, et c'est par l'observation libre de ces lois, préceptes et commandement: qu'ils peuvent rendre à leur créateur le culte pur de leur amour, dans toute l'intensité de leur action spirituelle, et lui demeurer éternellement unis, s'ils lui sont fidèles ; comme aussi ils peuvent devenir coupables, et éternellement malheureux s'ils s'en écartent, ou s'ils ne réparent par leurs fautes par un sincère repentir, comme cela est arrivé à Lucifer devenu rebelle, aux anges qu'il a entraîné dans la rébellion et ensuite à l'homme qu'il a tenté, séduit et terrassé.
Ainsi, cette liberté qui est le principe du bonheur individuel des êtres spirituels, comme aussi des intelligences humaines, et qui peut en même temps leur devenir si fatale par l'abus qu'ils en peuvent faire, est vraiment une faiblesse spirituelle dans tous les êtres émanés, faiblesse qui caractérise essentiellement et pour toujours leur infériorité et leur dépendance absolue du créateur.
Ils sont libres de faire le Bien ou le Mal puisqu'ils ont une volonté propre, distincte et indépendante de celle du créateur
Mais, dira-t-on, Dieu qui est tout-puissant, qui est rempli d'un amour si tendre, si parfait pour ses créatures, ne pouvait-il pas les créer non libres, pour assurer leur bonheur éternel, en les préservant de la possibilité d'abuser de leur liberté et de se perdre ? Non, Dieu, quoique tout-puissant, ne le pouvait pas ; et ce n'est pas mettre des bornes à sa toute-puissance que de le reconnaître ici.
Dieu est le seul être existant par lui-même : il existe par sa propre loi, qui est un avec lui. Cette loi est le Bien qui est le principe de toute perfection ; Dieu est le Bien par essence et il n'est pas plus possible à Dieu étant le Bien, de s'en écarter par aucun mal, que de cesser d'être Dieu ; si les êtres créés pouvaient exister par leur propre loi, être le Bien, ils seraient indépendants et autant de Dieu. Mais au contraire, leur existence individuelle, distincte a commencé quand il a plu à Dieu de la leur donner ; il leur a donné sa propre loi, par laquelle il les a unis à lui et au Bien ; et comme cette loi, suite nécessaire de leur existence, leur est donnée, les met dans la dépendance de celui qui la donne, et qu'elle n'est pas leur propre, il en résulte nécessairement qu'ils sont et doivent être libres de l'observer ou de s'en écarter, puisqu'ils ont une volonté propre, distincte et indépendante de celle du créateur. Ce n'est donc que par les transports de leur amour, de leur reconnaissance pour le bienfait de leur existence, que par leurs continuelles actions de grâces, enfin par leur hommage pur et libre que les êtres spirituels peuvent vraiment glorifier Dieu. Eh ! s'il en était autrement, quelle gloire pourrait donc revenir au créateur d'un hommage forcé, ni des sentiments qui seraient irrésistiblement commandés à des êtres qui n'auraient pas la faculté de s'y refuser. Reconnaissons donc que tout être spirituel étant doté des facultés distinctes de pensée, de volonté et d'action propres à son être est par sa nature et doit être nécessairement libre dans l'usage qu'il en peut faire ; et par conséquent libre de penser, vouloir et agir conformément, ou contrairement aux lois, préceptes et commandements qu'il a reçus.
Que si ces êtres spirituels n'étaient pas essentiellement libres dans l'usage de leurs facultés intellectuelles, ils seraient comme nuls pour Dieu et pour eux-mêmes, et ne seraient plus que des automates spirituels, incapables de mériter ni de démériter.
Mais dira-t-on encore : Si le libre arbitre est le principe du bonheur essentiel et parfait des êtres spirituels qui demeurent fidèles, n'est-il pas aussi le principe d'une certaine crainte, d'une certaine anxiété spirituelle bien propre à en troubler la jouissance actuelle ? Car savoir et sentir pendant toute l'éternité qu'à tout instant et sans fin l'abus de cette liberté peut détruire le bonheur, et précipiter dans un malheur éternel, la seule possibilité de cette alternative n'est-elle pas capable d'altérer la perfection de ce bonheur ? Qu'on ne vous dise pas pour détruire la force de cette objection, qu'aucun être jouissant de la plénitude du bonheur par le bon usage qu'il fait de sa liberté, ne sera pas assez insensé que de s'exposer à le perdre par un usage contraire : la chute épouvantable de l'archange Lucifer, entraînant avec lui par sa pensée orgueilleuse la multitude des anges rebelles qui l'ont adoptée, n'est-elle pas un exemple frappant du contraire ! Et si celui-là ne suffisait pas, n'en trouverions-nous pas un plus frappant encore, puisqu'il nous touche de si près, dans la chute de l'homme et de sa postérité, qui, séduit par Satan, égaré par son propre orgueil, renonce volontairement au bonheur parfait de sa pure existence, et se précipite avec tous les siens dans un malheur inexprimable ! Malheur qui serait éternel si la miséricorde divine n'était venue à son secours, si elle n'était de relever de ce malheureux état, et lui promettre sa parfaite réconciliation à la fin des temps, s'il a fait pendant le cours de son expiation temporelle, un meilleur usage de sa liberté, si enfin il a fait alors un entier et volontaire abandon à son créateur de ce libre arbitre qui lui a été si fatal.
Reconnaissons donc que cette crainte, cette anxiété spirituelle pouvait en effet troubler la jouissance actuelle des êtres purs, si le grand amour de Dieu pour ses créatures, n'avait posé, pour ainsi dire, des limites à la possibilité perpétuelle de l'abus qu'elles peuvent faire de leur libre arbitre.
Il ne faut pas confondre l'émanation des êtres spirituels avec leur émancipation
Mais pour concevoir la nature de ces limites, il faut se rattacher à une ancienne et importante vérité depuis trop longtemps et trop généralement oubliée ; il ne faut pas confondre l'émanation des êtres spirituels avec leur émancipation, qui sont pour eux en Dieu, deux actes et deux temps différents.
L'émanation des êtres spirituels est, comme nous l'avons déjà assez fait comprendre, l'acte de la puissance et de l'amour, par lequel Dieu leur donne hors de lui, hors de son centre divin une existence distincte et éternellement indestructible, et avec elle les trois facultés spirituelles que nous avons fait connaître, avec un libre arbitre pour en diriger à leur gré l'emploi et l'exercice, lorsqu'elles auront été émancipées pour en faire usage. Car jusqu'à cette émancipation, quoique jouissant des facultés innées en eux, leur liberté est dans une sorte d'assujettissement à la volonté divine, le plein exercice en est suspendu, et leur volonté est pour ainsi dire, enchaînée par les lois, préceptes et commandements divins qu'ils ont reçus, jusqu'à ce que, par l'émancipation, ils soient mis en état de la manifester à leur gré et de mériter ou de démériter à leur choix. L'émancipation de ces êtres est l'acte par lequel Dieu, après les avoir mis en aspect de lui-même dans son immensité divine après les avoir mis en contemplation de sa gloire, de sa puissance, de son amour et de ses perfections infinies pour leur donner un avant-goût du bonheur ineffable, dont ils pourront jouir éternellement, s'ils restent fidèles, les émancipe de l'assujettissement ou étaient leurs facultés, c'est-à-dire leur rend la pleine liberté d'opérer à leur gré leur propre pensée et leur propre volonté, parce que c'est seulement par le bon et le libre usage qu'ils en feront dès lors, qu'ils mériteront le bonheur éternel pour lequel ils ont été émané, et qu'ils pourront aussi mériter le bienfait inestimable de voir de nouveau leur libre arbitre éternellement enchaîné par l'effet du sacrifice libre qu'ils en auront fait à leur créateur.
Les lois de la nature physique élémentaire qui sont pour nous l'image sensible des lois de l'ordre supérieur nous présentent un tableau frappant de cette grande vérité. Les intelligences humaines sont douées, en naissant dans le monde temporel, des facultés intellectuelles et du libre arbitre qui appartiennent à leur nature essentielle, et cependant les enfants, les adolescents et tous les hommes réputés encore Mineurs jusqu'à une certaine époque de leur vie sont assujettis par la loi à la volonté de leurs parents, de leurs tuteurs, de leurs supérieurs en tous genres. Quoiqu'exerçant journellement leurs facultés intellectuelles sur tout ce qui peut être utile à leur instruction, sur tout ce qui peut accroître et fortifier leur expérience, leur volonté est enchaînée pour les actes les plus essentiels de leur existence, car ils ne peuvent contracter légalement aucun engagement important. Mais parvenus à l'âge requis par la loi, elle les émancipe, c'est à dire que si elle ne leur donne pas de nouvelles facultés, elle leur rend la faculté d'user à leur gré de toutes celles qu'ils avaient déjà ; et c'est dès ce moment qu'ils peuvent contracter légalement et opérer librement en toutes choses pour leur propre Bien ou pour leur Malheur.
Ce n'est qu'après leur émancipation que les êtres spirituels premiers émanés ont pu devenir rebelles à la Loi fondamentale de leur existence
Ce n'est donc qu'après leur émancipation que les êtres spirituels premiers émanés ont pu devenir et sont effectivement devenus rebelles à la Loi fondamentale de leur existence.
Mais gardons-nous ici pour satisfaire une vaine et coupable curiosité de chercher à pénétrer dans les choses qu'il a plu à Dieu de ne pas révéler aux hommes, comme étant inutiles à leur instruction. Car par exemple, à quoi nous servirait-il de connaître, comme quelques-uns le désirent, pendant combien de temps les esprits devenus rebelles se sont maintenus dans le bien avant leur prévarication ? Cette question curieuse et futile est d'autant plus répréhensible que le temps n'a point existé et n'existera jamais dans l'immensité divine.
Qu'il nous suffise donc de savoir que pour Dieu, ni pour aucun esprit pur il n'y a point de temps, ni par conséquent aucune mesure de temps ; que pour Dieu le passé et le futur sont égaux, et que toutes choses sont sans cesse présentes devant lui. Le temps et la loi du temps n'ont commencé qu'après la prévarication des premiers esprits. Et si aujourd'hui l'homme y est soumis lui-même, ce n'est que par les suites de sa propre prévarication. Il pourrait même encore facilement reconnaître, s'il voulait l'observer lui-même attentivement, que le temps est étranger à sa vraie nature spirituelle ; car si son esprit a été fortement, sans distraction et longtemps occupé à la méditation d'objets intellectuels qui ont exercé son intelligence, il savait avec étonnement, en sortant de cet état comme d'un profond sommeil, que plusieurs heures du temps se sont écoulées à son insu, et ce n'est plus qu'en comparant le moment présent avec celui auquel a commencé sa profonde méditation qu'il peut calculer la durée de l'intervalle qui les a séparé.
Nous avons suffisamment établi la différence essentielle qui existe entre l'émanation et l'émancipation des êtres spirituels, il nous reste à en développer les conséquences ; elles sont d'autant plus importantes qu'elles fixent irrévocablement leur sort éternel.
Aussitôt qu'il a plu à Dieu de les émanciper à leur libre arbitre, ils entrent en pleine jouissance du libre usage de leurs facultés intellectuelles, et ils opèrent à leur gré leur propre action spirituelle : S'ils opèrent en contradiction avec la volonté divine, comme cela est arrivé à Lucifer et à ses adhérents, ils se perdent irrévocablement comme lui. Mais s'ils l'opèrent conformément aux lois, préceptes et commandements divins, ils restent l'objet chéri de l'amour de leur créateur, qui leur destine la récompense de leur fidélité ; ils lui rendent amour pour amour et s'unisse à lui par l'hommage pur et libre qui lui est le plus agréable, et par toutes les puissances de leur être : ils sentent péniblement le fardeau de leur liberté, ils en offrent sans cesse à Dieu le sacrifice avec l'abandon de leur volonté propre qui pourrait les égarer. C'est lorsque Dieu a accepté leur sacrifice, leur abandon, qu'ils sont sanctifiés et consommés dans l'unité ; l'union de leurs facultés avec les facultés divines, quoique restant éternellement distinctes devient si intime, qu'elles restent inséparables, et leur bonheur éternel devient inaltérable.
C’est par le sacrifice volontaire du libre arbitre, par l'abandon le plus absolu de la volonté propre, et par l'acceptation de cet abandon de la part de Dieu que les êtres émanés sont sanctifiés
C'est toujours par la même loi que s'opère et s'opérera la sanctification de l'universalité des êtres émanés, ce ne sera jamais que par le sacrifice volontaire du libre arbitre que par l'abandon le plus absolu de la volonté propre, et par l'acceptation de cet abandon de la part de Dieu que pourra s'effectuer leur union indissoluble avec lui qui opère leur sanctification.
Jetons les yeux sur l'homme et considérons la marche qui lui est tracée ainsi qu'à sa postérité pour sa réhabilitation ; nous y trouverons un nouveau sujet de reconnaître l'immutabilité de la loi divine suivant laquelle s'opère la sanctification des êtres spirituels.
L’homme fut précipité et lié dans une forme corporelle matérielle avec laquelle il vînt ramper sur la surface terrestre, pour la transmettre dans un ordre successif à sa postérité
L’homme devenu criminel, chassé du poste glorieux qu'il n'avait pas su défendre, et dépouillé de la forme impassive qu'il avait laissé souiller, fut précipité et lié dans une forme corporelle matérielle avec laquelle il vînt ramper sur la surface terrestre, pour la transmettre dans un ordre successif à sa postérité.
Ce fut donc par un abus énorme de sa liberté et en agissant par une volonté contraire aux ordres qu'il avait reçus qu'il attira sur lui l'épouvantable châtiment dont sa postérité restera sa victime jusqu'à la fin des temps, et son malheur serait irréparable si Dieu touché de son repentir ne lui avait promis un rédempteur qui le relèverait de sa chute s'il le secondait par tous les efforts de sa volonté.
Ce n'est qu'après ce renoncement, cet abandon absolu de tout soi-même, que l'homme reçoit son entière et parfaite réconciliation
Puisqu'il est évident que c'est par l'abus qu'il a fait de son libre arbitre et le mauvais usage de sa volonté que l'homme est devenu coupable et malheureux, peut-il lui rester d'autres moyens pour sa réhabilitation que d'offrir sans cesse et du fond de son cœur à son créateur le sacrifice entier de cette liberté qui lui est devenue si fatale et l'abandon absolu de cette liberté jusqu'à ce qu'il lui plaise de l'accepter ! Le renoncement à soi-même, et l'abandon absolu sont pour lui si importants, que la vie temporelle ne lui est accordée ou prolongée que pour qu'il apprenne à sentir l'absolue nécessité de le faire, ou au moins de la commencer efficacement, et comme dans son état actuel de dégradation, ce travail est très long et très pénible, et qu'il ne peut être méritoire pour lui que lorsqu'il sera parfait, une seconde vie temporelle, dans laquelle il sera plus éclairé que dans celle-ci sur la nature de son être et sur ses devoirs, lui est accordée pour le continuer et le compléter. C'est dans les lieux dénommés d'expiations et de purification que ce travail indispensable s'opère et il sera d'autant plus long et d'autant plus pénible, qu'il aura été moins avancé dans la première vie. Ce n'est qu'après ce renoncement, cet abandon absolu de tout soi-même, que l'homme reçoit son entière et parfaite réconciliation. Cet état de réconciliation est pour lui un commencement, un avant-goût de la béatitude qui lui est assurée, mais elle n'est encore que temporelle, il va s'unir aux autres réconciliés, il va jouir avec eux de son bonheur, dans les lieux les plus près des hautes barrières de l’espace ; et là ils attendent tous ensemble la fin des temps, pour franchir ensemble les barrières temporelles, au-delà desquelles ils seront sanctifiés.
S'il pouvait rester encore quelques doutes sur l'absolue nécessité où se trouve l'homme d'offrir habituellement à Dieu le sacrifice de sa volonté, et d'en consommer dans ce monde l'abandon, nous aurons bientôt l'occasion de lui en démontrer dans le cours de ce travail l'importance et la vérité, par les exemples aussi frappants que multipliés que notre divin rédempteur J.C. qui a réuni en sa personne la plénitude de la divinité, à l'humanité dans son plus haut degré de perfection, nous en a donné pendant sa vie temporelle, dans sa passion et jusque sur la croix, et tous ces doutes seront bientôt dissipés.
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