Louis-Claude de Saint-Martin

par S. Deusi

Dans ce courant mystique et illuministe qui part de Jacob Boehme et dans lequel nous croisons quelques personnages particulièrement importants par leur apport, Louis-Claude de Saint-Martin occupe la place centrale. Il est un axe autour duquel pivotent les autres. Ce disciple de Martines de Pasqually et de Jacob Boehme a laissé une œuvre fondamentale.

Homme de culture à la vaste érudition, écrivain de talent manipulant la langue française avec une aisance remarquable, Saint-Martin sut opérer la synthèse entre les deux filiations spirituelles dont il se voulait être l’héritier et, même s’il est vrai qu’il renia les pratiques théurgiques enseignées par Pasqually, son premier maître dont il fut le secrétaire, il prolongea en quelque sorte la pensée de ce dernier en y ajoutant la notion de « désir » et en prônant la « voie cardiaque » qu’il opposait à la « voie opérative » des Élus-Coën.

L'œuvre philosophique de Saint-Martin

Louis-Claude de Saint-Martin a écrit et publié 36 ouvrages. Il ne serait pas possible dans le cadre de cet article d’en faire une présentation exhaustive. Aussi, je me bornerai à vous en présenter trois qui, selon ce que j’ai pu comprendre, reflètent assez bien la pensée de leur auteur.

Des Erreurs et de la Vérité (1775)

Des erreurs et de la vérité, écrit en 1773 et publié en 1775, porte en sous-titre : « ou les hommes rappelés au principe universel de la science ». Ce livre connut dès sa parution un énorme succès dans les milieux littéraires, philosophiques et maçonniques et pas seulement d’estime. En effet, ce livre fut reçu comme étant un éclaircissement du « Traité de la Réintégration » de Martines de Pasqually dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est obscur et écrit dans un style peu abordable.

Une dizaine d’années plus tôt, un certain Nicolas-Antoine Boulanger avait publié un essai qui avait fait quelque bruit. Dans ce livre, l’auteur prétendait que toutes les religions étaient nées de par les frayeurs que les hommes éprouvaient devant les phénomènes naturels, tels que les orages, les éruptions volcaniques, les séismes, etc.

Saint-Martin trouvait cette explication peu convaincante. Sa propre thèse, fortement inspirée par les enseignements de Martines auquel il était encore fort attaché en 1773, défendait l’idée que l’homme possède en lui une lumière active et intelligente qui est seule à la source réelle de la pensée religieuse, un inexplicable savoir, non matériel, à la base des allégories et des mythes.

Ce livre, il ne le signe pas de son nom mais de celui de « Philosophe Inconnu ». Ce pseudonyme réclame quelques explications : au premier examen, on pourrait imaginer que cet adjectif « inconnu » accolé à « philosophe » signifie que, à côté des grands noms, tels Diderot, Montesquieu, Voltaire ou Rousseau, Saint-Martin ne fut qu’un pâle philosophe, une espèce de « philosophe de seconde classe » puisque, alors que les encyclopédies réservent des pages et des pages aux illustres personnages que je viens de citer et que tout le monde connaît, elles n’accordent à Saint-Martin, quand elles daignent le faire, que quelques malheureuses lignes. Donc, on pourrait en déduire que « Inconnu = Méconnu ».

Or, il n’en est rien car, s’il est vrai que le nom de Saint-Martin ne brille pas au fronton des encyclopédies, ce pseudonyme n’a aucun rapport avec ce qu’il faut bien appeler une injustice. Louis-Claude de Saint-Martin nous justifie lui-même son choix par un souci de discrétion et d’humilité puisqu’il nous dit que la doctrine qu’il expose n’est pas le fruit de la réflexion d’un homme mais qu’elle est puisée dans la Tradition universelle. Il ajoute dans sa préface :

« Cependant, quoique la lumière soit faite pour tous les yeux, il est encore plus certain que tous les yeux ne sont pas faits pour la voir dans tout son éclat. Le petit nombre des hommes dépositaires des vérités que j’annonce est voué à la prudence et à la discrétion par les engagements les plus formels ».

De plus, on notera, non sans amusement, que plusieurs ouvrages de Saint-Martin portent comme lieu d’impression la ville d’Édimbourg alors qu’il est avéré que ces livres furent imprimés à Lyon. Toujours ce besoin de discrétion et de brouiller les pistes.

Dans cet ouvrage, Saint-Martin nous expose sa doctrine qui se fonde sur la nécessaire explication préalable de la nature de l’homme afin de conduire plus avant son raisonnement dans le but d’amener le lecteur à découvrir le lien intime qui relie nos connaissances au Principe supérieur qui est à leur source.

Saint-Martin considère que, malgré la chute qui l’a privé de la lumière divine, subsiste en chaque être une authentique capacité à retrouver l’Unité première. Sous certaines conditions, il reste possible de réaliser une salutaire harmonie entre la nature abîmée de l’humanité (suite à la chute) et la divinité dans la mesure où, ajoute-t-il, l’homme peut recevoir des lumières intimes obtenant, en se fermant volontairement aux phénomènes extérieurs (ceux qui nous assaillent dans notre quotidien) une ineffable connaissance par laquelle le Verbe divin se révèle dans l’âme.

Ces quelques extraits de son livre nous permettent de mieux cerner la pensée de Saint-Martin. Certains mots, et chaque mot a son poids et sa valeur, nous ouvrent des pistes de réflexion. En effet, on trouve associées ici deux notions fondamentales : la lumière et le verbe qui pourraient bien constituer à la fois deux notions distinctes et pourtant uniques si l’on admet qu’il y eut en vérité non pas une chute mais deux chutes, celle de l’ange rebelle Lucifer, le porteur de la lumière, et celle de l’homme-archétype, Adam qui possédait le verbe puisque, nous dit la « Genèse », il devait nommer les êtres créés. Nous savons par ailleurs que toute démarche initiatique consiste à retrouver à la fois la « Lumière » et le « Verbe » ou, si l’on préfère, le mot sacré, ce qui est évidemment la même chose.

Dans un autre contexte, Saint-Martin parle de la « Vraie Lumière », ce qui sous-entend qu’il doit bien y avoir de fausses lumières, celles justement qui, selon lui, nous occultent la Vérité. Voulait-il viser ses confrères philosophes à tendance rationaliste ? Ou les églises qui avaient perdu le sens profond du message qu’elles avaient reçu mission de propager ? En ce cas, Saint-Martin se révélerait comme un penseur isolé et étranger à la controverse qui, tout au long du XVIIIe siècle, s’est instaurée entre les philosophes et les églises. Dans ce débat, renvoyait-il dos à dos les uns et les autres, ceux-là même qui, et c’est peut-être ce qu’il a voulu nous dire, propageaient les « fausses lumières », chacun à sa manière ?

D’autre part, on voit apparaître dans ce livre le mot « Désir » qui, désormais, sera presque indissociable de la pensée et de l’œuvre de Saint-Martin. Plus tard, dans un autre ouvrage publié en 1790 et intitulé « L’Homme de Désir », il développera cette notion fondamentale à ses yeux. « L’Homme de Désir » est celui qui, par sa volonté, veut sortir du « torrent » où l’a précipité la chute pour retrouver la voie divine par la Réintégration. Nous sommes encore très près de Martines de Pasqually. Il y a ici une parfaite identité de pensée entre Martines et Saint-Martin ; ce sont les méthodes qui diffèrent.

Pour Saint-Martin, nous devons tendre de toutes nos forces à réintégrer notre nature première, antérieure à la chute (que d’autres peuvent appeler le Paradis perdu, le jardin d’Eden, par exemple), « réintégration » qui doit faire l’objet de notre unique désir et devenir notre principale activité ici-bas. Retourner à Dieu reste une démarche fondamentale de la pensée saint-martinienne et toute son œuvre en sera imprégnée.

Tableau Naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et l’Univers (1782)

Chaque écrivain a son livre fétiche, celui qui l’a fait connaître au plus grand nombre, qui est réédité régulièrement et que l’on cite le plus volontiers.

Pour Louis-Claude de Saint-Martin, c’est incontestablement le Tableau Naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers. Toujours cette passion pour les titres longs et, comme nous l’avons déjà fait en d’autres circonstances, nous allons l’abréger en parlant simplement du Tableau naturel. Cet ouvrage parut en 1782, toujours sous le pseudonyme de « Philosophe Inconnu » et la ville d’Édimbourg comme lieu d’impression. Les éditeurs iront même jusqu’à déclarer en substance tenir le manuscrit de l’ouvrage d’une personne inconnue.

Les exégètes de l’œuvre de Saint-Martin s’accordent pour reconnaître que ce livre constitue un traité complet de science initiatique. Construit d’après les enseignements de la doctrine martinézienne, ce livre nous conduit de l’âge d’or à la Chute jusqu’à la Réintégration finale. Il nous présente, avec beaucoup de précision, le drame de l’histoire et des lois qui régissent l’univers.

Divisé en 22 chapitres (22 comme le nombre des lettres hébraïques ou des lames majeures du tarot, entre autres), ce qui est hautement symbolique, le Tableau naturel permet à Saint-Martin de nous livrer quelques profondes vérités sur ces lois universelles.

« L’Univers est pour ainsi dire un être à part, écrit-il. Il est étranger à la Divinité quoiqu’il ne lui soit ni inconnu, ni même indifférent. Il ne tient point à l’essence divine, quoique Dieu s’occupe du soin de l’entretenir et de le gouverner ».

Ainsi, pour Saint-Martin, Dieu est à la fois présent et lointain, nous laissant nous enliser dans notre état déchu sans toutefois nous abandonner définitivement.

« Dieu, écrit-il plus loin, a le pouvoir d’opérer la rupture mais il a également celui de rétablir l’Unité ».

Saint-Martin insiste sur la présence intime de Dieu dans l’âme. C’est grâce à elle que l’homme peut espérer soulever le voile qui cache à ses yeux la vraie lumière. Privé de cette vraie lumière, l’homme est un éternel « souffrant ».

« C’est pour cela, énonce-t-il encore, que l’homme aujourd'hui est ravalé dans les classes inférieures où non seulement il ne connaît plus cette lumière intellectuelle qui, malgré tous nos crimes, conserve éternellement sa splendeur, mais encore où il a peine à l’apercevoir quelquefois et où il devient souvent pour elle ce que sont les minéraux par rapport à la lumière élémentaire. »

C’est clair pour Saint-Martin. N’est-il pas très proche du prologue de l’Évangile de Jean qui nous dit ; « La Lumière luit dans les Ténèbres et les Ténèbres ne l’ont point saisie ». Certaines vulgarisations disent que les Ténèbres « ne l’ont point reçues ». Cependant, qu’elles « ne l’aient point saisie » nous paraît plus cohérent car comment la Lumière pourrait-elle luire dans les Ténèbres si celles-ci ne l’avaient point reçue. A contrario, dire qu’elles ne l’ont point saisie signifie qu’elles n’ont pu la capturer, l’étouffer et qu’elle est toujours vivante et présente.

Pour Saint-Martin, la recherche religieuse est une affaire intime ; c’est « la voie cardiaque ».

Au fil des ans et en conséquence de sa maturité spirituelle, Louis-Claude de Saint-Martin se montre de plus en plus rétif aux cérémonies extérieures qui lui semblent entachées d’un caractère suspect et superficiel. Bien sûr, on aura reconnu l’allusion aux difficiles opérations prônées par Martines de Pasqually et suivies avec plus ou moins de bonheur par les Élus Coën.

Nous avons vu il y a quelques instants que Saint-Martin avait délaissé cette voie que d’aucuns appellent « opérative ».

Il s’en explique avec une remarquable franchise quitte à heurter les convictions et l’attachement de nombre de ses amis à ces cérémonies rituelles. Il cherche à communiquer intuitivement avec ce qu’il appelle ses « intelligences » et, dans ce but, il écarte le décorum cérémoniel qui lui est devenu parfaitement étranger. Il entre désormais dans une phase purement spirituelle où le dépouillement, la transparence et la simplicité se substituent aux formes et aux opérations extérieures devenues non essentielles à ses yeux. Il rejette avec détermination la soumission aux « puissances des mondes intermédiaires encore prisonniers de leur condition », sur quoi repose justement la théurgie.

Il invite ses fidèles à entrer dans ce qu’il nomme « l’œuvre épurée » qui se fonde sur le silence, le recueillement, la méditation solitaire, la prière et « l’intimité du cœur avec Dieu ».

Ce sont ces derniers mots qui sont importants et exigent notre attention si l’on désire mieux comprendre le fond de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin. Car ils nous introduisent dans le monde de la haute spiritualité auquel on accède par la « voie cardiaque ».

Que faut-il entendre par « voie cardiaque » ?

Bien entendu, en entendant cette expression, on pense d’abord à l’amour de son prochain « Aimez-vous les uns les autres », ce qui n’est pas dénué d’intérêt quand on doit convenir que l’humanité vit dans un tourbillon de haine. Rien ne permet d’ailleurs d’affirmer que les animaux en sont exemptés…

Mais, la « voie cardiaque », c’est bien autre chose quand on en parle dans le contexte saint-martinien. C’est bien plus profond.

Il faut savoir, sans entrer dans des considérations occultistes, que la constitution de l’homme se répartit en trois grandes corps : un corps matériel, celui de nos échanges métaboliques, un corps intellectuel, celui de nos pensées et un corps psychique, celui de nos passions et de nos émotions au sens le plus large de ces termes.

Le corps matériel a son siège dans le ventre, là où les besoins vitaux nous retiennent en esclavage ; le corps intellectuel a le sien dans la tête, là où le cerveau nous permet d’accéder au savoir (je dis bien au savoir et non à la connaissance qui est d’une toute autre nature). Entre les deux, dans notre poitrine, se trouve le corps psychique qui commande nos passions et nos émotions. Pour les spiritualistes, c’est le plus important des trois. Et c’est justement parce que Saint-Martin lui donnait la priorité sur le corps matériel (présence de l’enfer – in ferno, c'est-à-dire inférieur) et le corps intellectuel qui n’est jamais qu’un… ordinateur, enfin je veux dire qui fonctionne sur un schéma très voisin de l’ordinateur (tri et mémorisation des informations, instantanéité des réponses et, hélas aussi, caprices et dysfonctionnements… sans oublier ces « fausses lumières » qui s’introduisent dans nos cerveaux à la manière sournoise des virus informatiques), qu’il nous a parlé de la voix cardiaque. Ce que certains de ses disciples se plaisent à appeler aussi « l’intelligence du cœur ».

Ici, il nous faut faire une courte digression. On ne se méfiera jamais assez des synonymes. Ainsi, « savoir » et « connaissance » ne sont pas synonymes et permutables. Le savoir, c’est l’information que nous accumulons dans nos études et notre vie sociale ; la connaissance, c’est, ce que nous portons en nous, c’est notre mémoire intime. Nous venons au monde avec elle, nous naissons avec elle (connaître = naître avec) et c’est elle qui nous permet de donner une vie au savoir qui, sans elle, n’est qu’un stock mort. Un exemple concret : confrontons théologie et théosophie. La théologie est du domaine du savoir, la théosophie est de celui de la connaissance. La théologie forme des « ministres » (sous-entendu du culte), la théosophie élève au magister, à la maîtrise. Ministère, magistère, toute la différence est dans les préfixes. N’oublions pas que, s’il est vrai que nous sommes esclaves de nos besoins matériels (quelle punition !) et que nous le sommes tout autant de nos pensées trop souvent attachées à des choses mineures, nous sommes commandés par nos passions et nos émotions que nous devons apprendre à maîtriser, c'est-à-dire que nous devons renverser les rôles et devenir des hommes libres dans le sens le plus profond de ce terme. Alors, nous ne confondrons plus les quelques plaisirs éphémères qui flattent nos sens avec le bonheur qui, lui, n’est pas soumis au temps qui passe.

C’est par cette maîtrise de nos passions et de nos émotions que nous ferons naître celui que Saint-Martin appelait « L’Homme nouveau ».

Comme « la voie cardiaque et le vrai désir » sont les deux piliers de l’œuvre saint-martinienne, il m’a semblé nécessaire d’exposer un certain nombre de réflexions qu’ils m’ont inspirés. Je précise que ces réflexions sont strictement personnelles et n’engagent que moi.

Il y a deux voies : la voix opérative et la voix cardiaque.

La Voix opérative repose sur la théurgie et les opérations pratiquées par les Élus-Coën selon les enseignements de Martines de Pasqually.

La voix cardiaque, préconisée par Louis-Claude de Saint-Martin, est fondée sur la prière et l’introspection.

Voilà ce que Saint-Martin a pensé de la voix opérative qui fait appel aux mondes intermédiaires : si l’homme a été fait à l’image de Dieu, il est donc supérieur aux autres créatures, incarnées ou désincarnées. Pas besoin de s’égarer dans ces régions peu sûres et souvent mal fréquentées. L’homme qui veut prier doit s’adresser directement à Dieu. Pas besoin de commissionnaires.

Car l’Esprit de Dieu, c'est-à-dire l’ensemble des éons (ou des photons) qui transportent et transmettent la vie, est présent en chacun des atomes sur lesquels repose toute matière, sachant qu’entre l’esprit et la matière, il n’y a qu’une différence de densité ou, si l’on préfère, de fréquence vibratoire.

Que doit-on entendre réellement par « voie cardiaque » ?

Ce n’est pas le cœur anatomique qui n’est qu’un viscère, précieux certes, mais rien de plus, qui est ici en cause.

Ce qui est important, dans la voie cardiaque : c’est la 4e chakra, appelé « ANAHATA ».

ANAHATA est le point d'union entre les 3 premiers chakras (reliés au plan matériel) et les 3 chakras situés au-dessus du cœur (reliés au plan divin). Cette union se fait au niveau du chakra cardiaque par l'amour d'où le terme de « noces alchimiques ». C'est le centre de la croix, le point d'équilibre entre la verticalité (ou les énergies Ciel/Terre) et l'horizontalité (ou les énergies masculine/féminine). Le travail à effectuer pour s'élever à ce niveau d'énergie est énorme puisqu'il concerne les deux axes principaux de notre être : équilibrage de nos polarités masculine et féminine, et intégration des énergies spirituelles dans la matière.

Le Chakra « ANAHATA » est lié au plan mental. Le plan mental a été une composante fondamentale de l'histoire de l'humanité en distinguant les individus et leurs composantes, en faisant des êtres autonomes, bien différents les uns des autres. Le plan mental est en fait le mécanisme de la conscience par lequel l'homme se différencie et ses sépare des autres. Ce mécanisme porte le nom d'individualisation.

Aussi, quand nous parlons de « la voie cardiaque » et que l’on a fait table rase des banalités qui entourent cette expression, nous n’avons plus à penser au cœur mais à ce quatrième chakra qui siège au centre de la poitrine, c'est-à-dire dans le site cardio-pulmonaire.

Notre cerveau, très conditionné, nous pousse à établir une hiérarchie verticale et stricte entre les trois constituants de notre individu, étant bien entendu que la tête, siège de l’intellect, domine l’ensemble parce qu’il est le domaine du savoir.

Cependant, il semblerait que ce soit le site cardio-pulmonaire qui, coincé entre la tête-odinateur et le ventre-laboratoire, constitue l’essentiel. Il est le siège des émotions et des sentiments. Mais aussi de l’imaginaire, du rêve, du vrai désir.

On vous dira qu’un initié digne de ce nom doit maîtriser ses émotions et ses passions. Il faut maîtriser ses émotions pour ne pas sombrer dans la sensiblerie et dans la larmoyance. La Force est liée au chakra cardiaque. Écouter ses émotions pour ne pas tomber dans la froideur qui isole les individus. Mais, s’il faut aussi dominer ses passions, il est hautement souhaitable de cultiver « la passion » ; la vie initiatique ne peut être vécue qu’avec « passion ». Il n’y a pas de place pour les tièdes…

Mais, avons-nous une âme ? Ou, plus justement, une « étincelle d’âme ». Une flamme appartenant au « Grand Feu Universel », au « Feu Fixe divin » que Lucifer a mobilisé dans les conditions que l’on sait.

Pour ma part, je ne suis pas le défenseur d’une âme individualisée. J’imagine plutôt notre jardin secret tel un jardin d’Eden miniaturisé avec, au centre, une flamme peut-être en forme de rose…

Cette flamme intérieure, intime, qui siège près de notre cœur, dans notre jardin secret si l’on préfère, c’est l’étincelle d’âme que nous recevons à notre naissance. Les avis sont partagés : est-ce à la conception, à la première mitose de l’œuf premier, à un moment ou à un autre de la vie fœtale ou au premier souffle qui suit la naissance ? C’est déjà un autre débat.

Cette « étincelle d’âme » est une sorte de « schékina ». Elle est aussi un guide.

Il nous appartient de cultiver cette flamme. C’est le but de toute initiation véritable.

Papus, disciple de Saint-Martin et, à travers lui, de Jacob Boehme, a lancé cette formule qui, pour être lapidaire, n’en témoigne pas moins d’une profonde réflexion :

« Le véritable ésotérisme est la science des adaptations cardiaques. Le sentiment est seul créateur dans tous les plans, l’idée est créatrice seulement dans le plan mental humain ; elle n’atteint que difficilement la Nature supérieure. ».

L’intellect, c’est l’intelligence froide, analytique, faussement qualifiée de cartésienne, c’est « l’intelligence du savoir ».

Mais, il y a une autre forme d’intelligence : « l’intelligence du cœur » qui est celle de la connaissance.

Le savoir s’acquiert par nos études, nos expériences, il nous est indispensable pour exercer un métier et trouver notre place dans la société. Le savoir est un apport extérieur. Il est aisément transmissible.

La connaissance est en nous, nous la portons et elle éclôt dans notre jardin secret. Elle est intime et, de ce fait, n’est pas transmissible. Elle est notre « guide » ; d’autres l’appellent parfois « l’ange gardien ». Pourquoi pas ?

Pour donner une idée concrète de la distinction qu’il y a lieu de faire entre le savoir et la connaissance, on pourrait rappeler que le savoir relève de la théologie et la connaissance de la théosophie.

Dans la pensée de Saint-Martin, la « voie cardiaque » est liée au « vrai désir ». Dans son acception banale, c'est-à-dire de tous les jours, le désir peut être considéré à l’égal d’une envie, d’une ambition, d’un penchant, d’un appétit. Et, bien sûr, il a souvent une connotation sexuelle.

Mais, quand on parle de « vrai désir », on élève en quelque sorte le débat. Dans certains contextes initiatiques, on indique au candidat qu’il faut avoir, pour avancer sur le chemin de la connaissance, « un vrai désir, du courage et de l’intelligence ».

Il y a fort à parier qu’il s’agit de l’intelligence du cœur, même s’il est vrai qu’il vaut mieux ne pas être dispensé de tout savoir intellectuel. Le « courage », ne serait-ce pas une allusion au « cœur », c'est-à-dire à la voie cardiaque ? Souvenons-nous de la célèbre tirade du Cid de Corneille quand don Diègue demande à son fils, don Rodrigue, de venger son honneur bafoué : « Rodrigue, as-tu du cœur ? »

Il se peut d’ailleurs que Corneille qui maîtrisait la langue française dans toutes ses nuances ait voulu faire une sorte de jeu de mots puisque l’on sait que Rodrigue est justement amoureux de la fille de celui qu’il doit provoquer en duel.

Et le « vrai désir » ?

Désir d’amour divin, c'est-à-dire de se surpasser, de dépasser notre condition humaine de tueurs, de raisonneurs pour laisser parler notre cœur, nos émotions.

L'Homme de Désir (1790)

Qu’est-ce qu’un homme de désir ? Un homme de bonne volonté avec un « plus » spirituel.

Mais ce désir ne saurait se cantonner à un simple désir spirituel individuel.

La « réintégration », si réintégration il y a, ne saurait être que générale. Ceux qui nous disent qu’il y aura tant de sauvés et pas davantage, et de préférence leurs adeptes, se moquent de nous. La Réintégration, ce n’est pas la rédemption, ce n’est pas la résurrection des corps.

Le vrai désir, c’est aussi ici-bas celui d’une société idéale, juste et fraternelle. Le vrai désir est du domaine de l’utopie.

Nous avons commis deux fautes, plutôt deux erreurs. D’avoir perdu la Lumière et le Verbe. Rien à voir avec les péchés. Que sont d’ailleurs les vrais péchés ? Les vrais péchés, ceux qui sont le plus pesants et retardent la venue d’une société utopique, ce sont l’orgueil et l’égoïsme.

Le vrai désir, c’est de retrouver cette vraie lumière et le juste mot.

C’est le but de toutes les démarches initiatiques traditionnelles et sérieuses qui, cependant, ne feront pas le travail pour nous mais nous aideront seulement à trouver des pistes. Ce n’est déjà pas si mal.

Et ce vrai désir, justement, il naît de la flamme, c'est-à-dire de l’étincelle d’âme qui vacille près de notre cœur. Notre guide n’est pas une personne aussi savante, sage, expérimentée qu’elle puisse être. Il n’est ni directeur de conscience, ni gourou. Notre guide se trouve dans cette étincelle d’âme que j’ai évoquée plus haut.

Dans le prologue de l’Évangile de saint Jean, la lumière et le verbe ne font qu’un. Jean commence par nous parler du « Verbe » et achève son propos en nous parlant de la « Lumière », comme si les deux formaient un seul et même concept.

Ce n’est pas un hasard si saint Jean est l’apôtre des gnostiques, c'est-à-dire de ceux qui cultivent la « Connaissance ». Son message s’adresse à ceux qui ont justement le « vrai désir ».

Le vrai désir n’est pas de nature religieuse mais spirituelle. La religion est extérieure ; elle se nourrit de fastes et de cérémonies, de grandes envolées lyriques. Elle s’adresse aux foules et l’on voit les chefs des religions se plaire volontiers à haranguer des foules, tels des tribuns. La spiritualité est intérieure, intime ; elle se repaît de silence et de méditation.

Les religions sont de nature philosophique ; la spiritualité est d’essence philosophale. Les premières enseignent, la seconde transcende ; les premières sont didactiques, la seconde est alchimique. (Il s’agit d’alchimie spirituelle, bien sûr).

Les religions ont besoin d’ériger de grands édifices : temple de Salomon, cathédrales, etc. La spiritualité se veut intemporelle et ne participe à la vie citoyenne que pour y apporter un souffle de fraternité. Comme si les spiritualistes animés d’un « vrai désir » étaient comme des pierres prêtes à participer à la construction d’un édifice idéal, utopique.

La foi religieuse repose sur des dogmes livrés « clefs en mains ». La foi spirituelle se fonde sur la connaissance et la réflexion. En commençant par la connaissance de soi. « Homme, connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux. » L’univers, c'est-à-dire le macrocosme, l’infiniment grand ; les dieux, c'est-à-dire les principes divins, l’infiniment petit puisque ces principes sont en nous et non pas dans on ne sait quelle région imaginaire, derrière les nuages ou à l’ombre d’une quelconque galaxie.

Dans cette courte digression sur la pensée de Saint-Martin, j’ai voulu me situer dans un « projet initiatique ». Projet qui se peut définir justement par un « vrai désir » qui prend racine dans la « voie cardiaque ».

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