Jean-Baptiste Willermoz - 9 Cahiers de Doctrine - Cahier numéro 8
DE LA NECESSITE DE LA CREATION DE L'ESPACE UNIVERSEL ET DE TOUT CE QU'IL CONTIENT ET DE SA PRINCIPALE DESTINATION DANS LE PLAN GENERAL TRACE PAR LA JUSTICE ET LA MISERICORDE DU DIVIN CREATEUR DE TOUTES CHOSES
En créant l’univers, Dieu a eu le double but de punir les prévaricateurs, de leur procurer des moyens de retour vers lui, et de mettre un terme à leur malheur s'ils voulaient en profiter
Lorsqu'on demande aux hommes, qui par la nature des études auxquelles ils se sont livrés et des fonctions relatives au saint ministère dont ils sont revêtus, sont présumés être les plus instruits dans les choses divines et les plus capables de les enseigner aux autres hommes : Pourquoi et par quels motifs Dieu a créé l'univers temporel, pourquoi il l'a créé à telle époque et non pas à une autre ; pourquoi il a placé l'homme avec de si grandes prérogatives ; pourquoi il a créé l'espace, le temps et a fixé la durée de cette création, dont il s'est réservé à lui seul la connaissance : ils nous répondent vaguement que telle a été la volonté de Dieu pour la manifestation de sa gloire et de sa puissance et pour l'accomplissement des desseins secrets de sa providence, dont il ne doit compter qu'à lui-même et sur quelques matières qu'on les interroge, pour peu qu'elle soit enveloppée d'un voile mystérieux, ils font toujours la même réponse, parce qu'ils n'en connaissent plus d'autres, depuis que ceux auxquels ils ont succédé en ont perdu la connaissance. C'est ainsi que s'est établie et que se perpétue l'ignorance des choses que l'homme a le plus grand intérêt à connaître et dont cependant il a plu à Dieu de lui conserver la connaissance quoique avec les réserves nécessaires pour la multitude ; c'est ainsi qu'ils enveloppent sans cesse d'un voile épais l'intelligence humaine, qu'ils usent et anéantissent les facultés intellectuelles qui leur ont été données pour connaître Dieu et ses œuvres temporelles ; c'est ainsi qu'ils assujettissent la raison de l'homme sous le joug de la foi dans toutes les choses qu'ils ne peuvent plus expliquer, qu'ils l'accablent de Mystères qu'ils présentent tous comme impénétrables, lorsque l'instruction des premiers temps suffirait pour les éclairer, enfin c'est ainsi qu'à force d'appliquer le mot mystère là où il n'en n'existe point, ils manquent si souvent de moyens pour convaincre victorieusement de la réalité des grandes vérités de la religion, les incrédules de bonne foi, qui sont presque toujours disposés à céder des démonstrations convaincantes, mais pour qui les démonstrations théologiques usitées, bien suffisantes sans doute pour ceux qui n'en ont pas besoin, sont trop faibles, trop usées, et trop contestées pour pouvoir faire sur eux de profondes impressions. C'est aussi pour cette raison que parmi ceux mêmes qui exercent le saint ministère, on a vu tant d'incrédules, quoiqu'ils fussent bien familiers avec les démonstrations théologiques ordinaires, qui n'avaient plus de forces pour eux ; et si l'ambition et les autres passions humaines ont entraîné quelques-uns de ceux-là dans l'incrédulité, on en a vu beaucoup aussi dans tous les rangs du ministère sacerdotal qui incrédules de bonne foi, ont cédé humblement aux démonstrations qui ont convaincu et subjugué leur raison.
Disons donc à tous ceux qui ont des yeux et qui ne peuvent pas voir et surtout à ceux qui croient honorer Dieu et agrandir son être en attribuant uniquement à sa volonté toutes ses œuvres, qu'au contraire ils le déshonorent et les rapetissent, autant qu'il dépend d'eux, en en faisant un être capricieux, qui agit, ainsi qu'eux-mêmes, arbitrairement et comme par simple fantaisie, disons leur que Dieu étant essentiellement bon et juste, est toujours excité dans ses opérations par de puissants motifs qui déterminent constamment la sagesse, et qu'il ne fait rien que pour satisfaire à son amour pour ses créatures, ou sa justice lorsqu'elles l'ont provoquées, et presque toujours pour satisfaire les deux ensemble, comme nous allons le voir dans l'acte de la création de l'univers. Car en créant cet univers, Dieu a eu le double but de punir les prévaricateurs, de leur procurer des moyens de retour vers lui, et de mettre un terme à leur malheur s'ils voulaient en profiter.
L'espace universel fut créé pour être le lieu d'exil, de séparation et de punition des êtres coupables qui étant indestructibles par leur nature, ne pouvaient plus être anéantis
L'archange Lucifer ayant consommé par l'acte de sa volonté le crime de sa pensée orgueilleuse, et entraîné avec lui la multitude de ses adhérents, la divine lumière qui éclatait en lui fut subitement changée en épaisses ténèbres, qui ne lui permet plus de connaître la vérité, et encore moins de pouvoir communiquer avec elle. Souillé d'une horrible impureté, il ne pouvait plus habiter le séjour de la pureté, de la sainteté même, et il dût être banni de cette immensité divine où il venait de répandre le Scandale et le désordre.
A l'instant même, Dieu créa l'espace universel hors de son immensité ; il créa aussi toutes les choses qui devaient y être contenues ; il les soumit à la loi du temps qui commença dès lors, et prescrivit à toutes les choses temporelles, leur place, leur action et leur durée. L'espace universel fut donc créé pour être le lieu d'exil, de séparation et de punition des êtres coupables qui étant indestructibles par leur nature, ne pouvaient plus être anéantis. Ce fut aussi dans ce lieu qu'ils furent condamnés et assujettis à opérer l'action de leur pensée et de leur volonté perverses, ne pouvant plus en opérer une autre puisqu'ils étaient totalement séparés du bien, et pour toujours, si la miséricorde divine n'employait aucun moyen de leur en rendre quelques notions salutaires.
Au premier signe de la volonté du Tout-puissant, Lucifer devenu Satan, fût précipité avec ses adhérents dans les abîmes de l'espace, où conservant toute la force de la grande puissance spirituelle innée en lui, puissance dont le créateur peut arrêter les effets, mais dont il ne peut le priver sans anéantir son être même ; où frémissant de rage au milieu de sa cour démoniaque de sa honteuse défaite, il exhale sans cesse sa fureur contre le créateur divin et contre toutes ses productions spirituelles et temporelles.
Les êtres spirituels demeurés fidèles furent chargés d'exécuter la volonté divine pour la séparation et l'expulsion des rebelles. Cet ordre sévère et terrible puisqu'il éternisait le malheur des coupables les affligea beaucoup, mais étant juste et mérité ils l'exécutèrent.
C'est cet événement dont Saint Jean fait mention dans le chapitre XII de son Apocalypse, où il fait la description d'un grand combat de l'archange Michaël et ses anges, contre le Dragon et ses anges, qui trop faibles contre lui furent précipités du ciel en terre, et ne parurent plus dans le ciel. L'expression de combat employé dans ce cas n'est qu'une figure qui désigne l'opposition et l'inutile résistance de la volonté de Satan contre la volonté divine qui le bannissait de sa présence ; car, quelle est la puissance créée qui peut résister à la Toute-puissance divine, lorsqu'elle veut se manifester directement, ou par le ministère de ses Agents fidèles ?
La prévarication des esprits rebelles occasionna une révolution inconcevable dans toute la nature spirituelle et un immense changement dans l'action particulière des êtres qui demeurèrent fidèles dans toutes les classes composant la cour divine. Ces êtres n'avaient suivant leur première destination qu'une action purement spirituelle à opérer pour rendre leur culte et leur hommage au créateur ; mais dès lors ils furent assujettis à opérer dans leur classe une action double du spirituel et du temporel, pour concourir à l'accomplissement des desseins de la justice et de la puissance du créateur contre les coupables, et pour le maintien de l'ordre temporel qu'il venait d'établir par son commandement divin, exprimer pour chaque acte de la création par un Fiat absolu.
Pour bien concevoir la destination principale de ce grand œuvre, il faut ne pas perdre de vue que le vrai et principal but de la création de l'espace universel et de tout ce qu'il contient fut la punition des esprits prévaricateurs, qu'ils y furent précipités pour une éternité, et qu'ils furent condamnés à y opérer à leur gré leur puissance et leur volonté perverse, mais que leur puissance y est toujours contenue dans les bornes que celle du créateur leur a fixée, afin qu'elles ne puissent jamais prévaloir sur les lois d'ordre qu'il a donnée à sa création universelle, pour le maintien de l'ordre régulier et de l'harmonie qu'il a voulu y établir ; ce qui explique le vrai sens des paroles de l'écriture : que malgré l'étendue et l'activité de leur puissance, malgré les fortes attaques qu'ils dirigent, sans cesse, contre toutes les parties de la création, attaques dont nous éprouvons si fréquemment depuis la chute de l'homme les plus fâcheux effets tant dans l'ordre physique que dans l'ordre spirituel et moral, les portes de l'enfer ne prévaudront jamais. C'est vainement aussi qu'ils multiplient leurs efforts pour percer les barrières de l'enceinte universelle créées qui forment leur prison, elles sont trop puissamment défendues pour céder jamais à leurs vaines attaques.
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