Traité des deux natures divine et humaine réunies indivisiblement pour l’éternité, et ne formant qu’un seul et même être dans la personne de Jésus-Christ Dieu et homme rédempteur des hommes et souverain juge des vivants et des morts

Accompagné de Réflexions sur la conduite de Pilate et d'une Méditation sur le grand Mystère de la Croix

L'homme primitif a été revêtu d'une grande puissance, a été principalement établi le dominateur des esprits pervers contenus en privation dans l’univers afin de les ramener dans le droit chemin

Nous avons vu, dans les premiers développements de la doctrine, que l'homme primitif avait été revêtu d'une grande puissance qui le rendait supérieur à tous les agents spirituels qui avaient été placés avec lui dans l'espace créé, pour y manifester sous sa direction leur action particulière temporelle ; qu'il avait été principalement établi le dominateur des esprits pervers qui y étaient contenus en privation ; qu'il avait été placé lui-même au centre des quatre régions célestes de l'univers créé pour y exercer sa puissante action universelle, et que c'est de là qu'il pouvait être un véritable intellect du bien pour les esprits pervers en leur rendant quelques notions de ce bien dont ils étaient éternellement séparés.

L’homme a horriblement abusé de tous les dons et pouvoirs qu'il avait reçus de Dieu ; c’est donc un homme divin, une victime pure et sans tache, qui doit s’offrir en victime expiatoire pour racheter tous les hommes

Mais ce malheureux homme si puissant, si fortement prémuni contre les attaques et les ruses de son ennemi, si supérieur à tout ce qui existait avec lui dans l'enceinte universelle et qui n'y voyait au-dessus de lui que son créateur, étant trompé, séduit, tombé dans l'excès du malheur, et condamné à la mort dont il avait été menacé, quel être assez puissant, assez pur pouvait le relever de cet état, si ce n'est Dieu même ? Mais cette image défigurée de son créateur a attaqué son unité et toutes ses puissances ; cet inique délégué, ce représentant infidèle de son Dieu s'est uni, s'est allié avec son ennemi pour trahir les plus chers intérêts dont il l'avait chargé ; il a horriblement abusé de tous les dons, de tous les pouvoirs qu'il en avait reçus, et, par un excès inouï d'ingratitude, il a outragé insolemment son amour et sa tendresse : il faut donc une grande victime pour satisfaire à la justice divine ; car si la miséricorde de Dieu est infinie et sans bornes, sa justice l'est aussi, et ne peut être arrêtée que par une réparation proportionnée à l'offense : il fallait donc une victime pure et sans tache de la propre nature humaine du prévaricateur ; et puisque c'était l'homme qui par son crime avait fait entrer la mort dans le monde, il fallait que cette sainte victime se dévouât volontairement à la mort, à une mort injuste, violente et ignominieuse qui puisse réparer tant d'outrages ; il fallait enfin que juste par son sacrifice volontaire, il restât vainqueur de la mort du péché afin que celle dont la justice divine avait prononcé l'arrêt irrévocable contre la race du prévaricateur ne fût plus qu'un sommeil et un passage de la vie temporelle à la vie éternelle pour tous ceux qui, à son exemple, abandonnant pendant la durée de leur expiation individuelle leur libre arbitre, leur volonté propre, à la seule volonté de Dieu, mériteraient d'en recueillir les fruits.

Un second Adam s'offre en victime à la justice divine pour le salut de ses frères

Un second Adam, émané du sein de Dieu en toute pureté et sainteté, se dévoua et s’offrit en victime à la justice divine pour le salut de ses frères, et son dévouement fut accepté par la miséricorde. Aussitôt la sagesse incréée, le Verbe de Dieu, qui est Dieu, le fils unique, l'image et la splendeur du père Tout-puissant, se dévoua à s'unir intimement et pour l'éternité à l'intelligence humaine du nouvel Adam, pour le fortifier dans son sacrifice, pour assurer, pour compléter son triomphe et le rendre, par une résurrection glorieuse, vraiment vainqueur de la mort.

L'union des deux natures, divine et humaine, est réalisée dans la personne de Jésus Christ

C'est par l'union incompréhensible de la nature divine à la nature humaine, chef d'œuvre de l'amour infini de Dieu pour les hommes, que s'accomplit le grand ouvrage de la Rédemption du genre humain et l'établissement de la religion sainte qui lui apprendrait à connaître le vrai Culte à rendre à son créateur, et le seul qui puisse lui plaire : Religion qui ne pouvait être fondée solidement que par la révélation d'un Dieu incarné, conversant familièrement avec les hommes, et qui leur prouverait à tout instant, pendant la durée de sa mission temporelle, sa divinité, la vérité de ses dogmes, la pureté et l'excellence de sa morale par les Miracles les plus éclatants en tous genres. Voilà les deux grands objets qui, dans les desseins de l'amour et de la miséricorde de Dieu pour les hommes dégradés et corrompus, ont rendu nécessaire l'union des deux natures dans la personne de Jésus Christ.

Cette union est la plus contestée de tous les actes révélés à la foi chrétienne

Cette union intime, absolue et devenue éternellement inséparable du Verbe créateur de tous les êtres avec une pure créature humaine, pour pouvoir instruire publiquement, souffrir et mourir en elle, est un acte de l'amour de Dieu pour les hommes si prodigieux, si inconcevable et si fort au-dessus de tout entendement humain, que de tous les actes révélés à la foi chrétienne c'est celui-là qui a été dans tous les temps, et qui est encore le plus contesté.

Même les contemporains de Jésus Christ nièrent sa divinité

Les contemporains de Jésus Christ, quoique témoins journaliers d'une multitude de miracles éclatants qu'il opérait devant eux, ne virent en lui que l'homme et nièrent sa divinité ; ses disciples, ses apôtres même, quoique instruits par lui et témoins des mêmes prodiges, n'y crurent que faiblement, jusqu'à ce que trois jours après sa mort, convaincus de la vérité de sa résurrection qu'il leur avait prédite lui-même, et entendant ses instructions pendant quarante jours, ils le virent monter divinement au ciel, dans son humanité glorifiée.

Les chefs de l'église chrétienne, auxquels la connaissance était presque exclusivement réservée pendant les cinq à six premiers siècles du Christianisme, ont parfaitement connu et mieux instruit sur ces points importants

Faut-il donc s'étonner si l'homme actuel, qui n'admet plus d'autres témoignage que celui de ses sens physiques et matériels, nie encore pour son malheur cette grande vérité ? Il y en a beaucoup dont l'intelligence est moins développée qui la nient aussi, ou qui ne la reconnaissent que très faiblement, et plutôt par le sentiment d'un devoir que l'instruction leur a suggéré que par la persuasion ; parce qu'ils ne sentent point encore la nécessité d'une intervention directe et personnelle de la divinité dans l'acte d'expiation satisfactrice que l'homme doit à la justice divine ; et voyant en Dieu et dans l'homme déchu de son état glorieux les deux points extrêmes de l'ordre spirituel, ils supposent dans les classes angéliques des agents spirituels intermédiaires assez purs et assez puissants pour rapprocher l'homme de Dieu, sans qu'il soit nécessaire que Dieu même se soumette à l'incarnation. Le doute et l'erreur de ceux-là ne proviennent que de l'ignorance dans laquelle sont tombés généralement les hommes depuis longtemps sur la cause occasionnelle de la création de l'univers ; sur les desseins de Dieu dans l'émanation et l'émancipation de l'homme ; sur sa haute destination au centre de l'espace créé ; et enfin sur les grands privilèges, la grande puissance et la grande supériorité qui lui furent donnés sur tous les êtres bons et mauvais qui s'y trouvèrent placés avec lui : toutes choses que les chefs de l'église chrétienne, auxquels la connaissance en était presque exclusivement réservée pendant les cinq à six premiers siècles du Christianisme, ont parfaitement connues et mieux instruites sur ces points importants ; ils en auraient conclu que pour réhabiliter un être si grand, si puissant, il fallait Dieu même. Il en est d'autres aussi qui, reconnaissant la nécessité d'une grande et sainte victime qui se dévoue volontairement à la souffrance et à la mort pour satisfaire à la justice divine ; mais reconnaissant en même temps que Dieu est impassible dans tout son être, et que la réparation du crime ne pouvait être méritoire qu'étant faite par un être de la même et propre nature de celui qui l'avait commis, ont nié la divinité du rédempteur.

Jésus est établi souverain juge des vivants et des morts

Oui, sans doute, Dieu est impassible, et rien, dans la nature divine, ne peut souffrir ni mourir ; ce serait un grand blasphème que d'oser avancer le contraire. C'est pourquoi les orateurs chrétiens qui, se livrant dans la chaire de vérité à un zèle excessif par des expressions impropres, qui leur paraissent donner plus d'énergie à leurs pensées, en s'écriant si souvent : Dieu est mort pour les hommes ! manquent leur but essentiel car ils ne doivent pas s'attendre à persuader leurs auditeurs quand ils entreprennent de leur faire croire l'impossible. Mais en Jésus Christ, qui réunit en sa seule personne et d'une manière éternellement inséparable, la nature divine et la nature humaine dans son plus haut degré de perfection, l'homme pur seul, souffre et meurt ; et avec son intelligence humaine, lorsqu'elle abandonne son corps, s'efflue l'essence divine qui lui est indivisiblement unie. La puissance du Verbe de Dieu qui réside dans toute sa plénitude dans sa sainte humanité, et se voile par elle, la soutient dans ses combats fréquents et mortels, multiplie ses forces, fortifie sa volonté, sa soumission, sa parfaite résignation jusqu'à la consommation de son sacrifice expiatoire, et lui assure le triomphe sur toutes les puissances de l'enfer déchaînées contre elle, en lui laissant tous les honneurs de la victoire. Et pour prix du bon usage qu'elle a fait de ses propres moyens et du puissant secours qu'il lui a donné, il l'a ressuscité du tombeau, il l'a glorifié, il l'a divinisé, il l'a monté au plus haut des cieux, où il l'a fait asseoir avec lui sur un trône éternel, et où, se confondant pour ainsi dire avec elle, il l'établit le souverain juge des vivants et des morts et le Dieu éternellement visible aux anges et aux hommes sanctifiés qu'elle reconnaît pour ses frères.

Le vrai Chrétien doit s'efforcer sans relâche à imiter l'homme pur uni à Dieu, que Dieu même lui propose pour modèle

Les deux natures que nous avons reconnues dans la personne du divin réparateur universel sont tellement unies, et en apparence confondues ensemble, qu'elles paraissent pour l'ordinaire opérer simultanément leur action générale ; elles ont cependant chacune leur action propre et distincte, qui, dans bien des cas, opère séparément. Il est donc bien important pour le vrai chrétien, à qui l'une d'elles est proposée pour modèle, de ne pas les confondre toujours et d'apprendre à les discerner ; cet examen ne peut que raffermir la foi des croyants et il peut être spécialement utile à ce grand nombre de Chrétiens lâches et insouciants qui, pour faire excuser leur indolence, ne cessent de répéter : il n'est pas possible à l'homme d'imiter la conduite toujours sage et irrépréhensible d'un Dieu. Non, sans doute, il n'est pas possible à l'homme si fragile d'être aussi parfait ; mais tant fragile soit-il, il peut, il doit même s'efforcer sans relâche à imiter, autant qu'il lui est possible, l'homme pur uni à Dieu, que Dieu même lui propose pour modèle.

Le divin réconciliateur des hommes, le désiré des nations, le Messie promis à la foi d'Abraham père des croyants, prédit par Jacob mourant à ses enfants et si clairement annoncé par un grand nombre de prophètes qui se sont succédé les uns aux autres pendant une longue suite de siècles, comme devant naître d'une vierge de la race d'Abraham et dans la famille du roi David, paraît enfin sur la terre à la fin du quatrième millénaire du monde, au temps déterminé par la sagesse incréée pour l'accomplissement des grands desseins de sa divine miséricorde.

L'archange Gabriel est envoyé par Dieu dans la petite ville de Nazareth, à la vierge Marie pour lui annoncer la glorieuse maternité par laquelle elle est destinée à coopérer au grand œuvre de la Rédemption des hommes ; mais l'apparition subite de l'ange qui lui est député trouble l'âme de cette vierge si pure ; sa pudeur s'alarme de la maternité qui lui est annoncée, déclarant ne connaître aucun homme, et elle n'y donne son consentement qu'après être entièrement tranquillisée sur les moyens, l'âme lui déclarant que sa maternité serait l'ouvrage de Dieu même par l'opération du seul Saint Esprit, et que sa virginité resterait intacte.

A l'instant même de son consentement commence l'accomplissement du grand mystère; car, à ce même instant, le Verbe de Dieu, qui est Dieu lui-même, la seconde personne et puissance de la sainte trinité, pressé par son ardent amour pour ses créatures humaines, s'unit indissolublement et pour toute l'éternité à l'âme humaine pure et sainte de Jésus, qui, par amour pour ses frères, et pour les réconcilier avec Dieu, en satisfaisant pour eux à la justice divine, s'est dévouée aux ignominies, aux souffrances et à la mort. Le Verbe tout puissant de Dieu, l'image et la splendeur du père éternel descendent des cieux pour venir s'incorporer avec l'âme humaine de Jésus dans le chaste sein de la bienheureuse vierge Marie, pour ne plus être éternellement les deux ensemble qu'une seule et même personne en deux natures distinctes ; c'est donc au moment de son consentement que l'homme Dieu est formé corporellement dans le sein virginal de Marie, de sa pure substance, de ce vrai et pur limon quinte essentiel de la terre vierge de sa mère ; il y est formé et composé, comme tous les autres hommes qui viennent pour un temps sur la terre, d'une triple substance, c'est-à-dire d'un esprit pur intelligent et immortel, d'une âme passive ou vie passagère, et d'un corps de matière, mais d'une matière pure et non souillée qui ne provient point, comme chez tous les autres hommes, de la concupiscence des sens, mais uniquement de l'opération du Saint Esprit, sans le concours d'aucun homme ni d'aucun agent physique de la matière. C'est par ce prodige de l'amour infini de Dieu pour sa créature chérie et séduite, devenue par son crime pour toujours l'esclave et la victime du Démon, que s'est accompli l'ineffable et incompréhensible mystère de l'incarnation divine pour la Rédemption des hommes, par Jésus Christ notre unique Seigneur et Maître, qui a bien voulu, pour en assurer l'effet, réunir en lui, par une union indissoluble, la nature humaine du prévaricateur et sa propre nature divine.

L’animal ou la brute est un composé binaire d'une âme, ou vie passive et passagère, et d'un corps de matière. L’homme est pendant son séjour passager sur la terre un composé ternaire des deux mêmes substances passagères qui le constituent animal comme la brute, et d'un esprit intelligent et immortel par lequel il est vraiment image et ressemblance divine. Jésus-Christ, homme Dieu et divin, se trouve pendant sa vie temporelle sur la terre un assemblage quaternaire : les trois substances dans l'homme temporel, et de plus l'être même de Dieu

Nous avons reconnu en son lieu que l'animal ou la brute est un composé binaire d'une âme, ou vie passive et passagère, et d'un corps de matière, qui disparaissent totalement après la durée qui leur est prescrite, que l'homme est pendant son séjour passager sur la terre un composé ternaire, à savoir des deux mêmes substances passagères que nous venons de citer qui le constituent animal comme la brute, et d'un esprit intelligent et immortel par lequel il est vraiment image et ressemblance divine. Mais en Jésus-Christ, homme Dieu et divin, se trouve pendant sa vie temporelle sur la terre un assemblage quaternaire qui le distingue éminemment de toutes les créatures ; à savoir : les trois substances que nous venons de reconnaître dans l'homme temporel, et de plus l'être même de Dieu qui s'est uni pour l'éternité à l'être intelligent et immortel de l'homme, pour en former un être unique, et une seule personne en deux natures.

Celui qui par cette union si glorieuse pouvait naître à son choix dans la famille la plus opulente, dans le sein des grandeurs, sur le trône le plus éclatant, préfère de naître dans une étable, dans une famille inconnue et pauvre, dans une profession abjecte la plus exposée aux mépris et aux humiliations qui accompagnent ordinairement l'indigence, il est bien évident par là que dès son entrée dans le monde il veut être le modèle et la consolation des pauvres ; qu'il veut en même temps inspirer le mépris des richesses et faire sentir à ceux qui les possèdent les grands dangers auxquels elles exposent tous ceux qui n'en feront pas l'usage prescrit par sa morale et par ses préceptes.

Voyons maintenant dans les saints évangiles sous quels rapports le divin Messie s'y présente aux hommes, comment les évangélistes le dénomment et le qualifient, et comment il s'y qualifie lui-même ; nous y trouverons sous de nouveaux rapports, un nouveau fonds d'instructions, avec la confirmation de ce que nous avons dit plus haut sur ce sujet important. Nous l'y voyons dénommé tantôt Jésus ou le fils de l'homme, tantôt Dieu homme ou enfin le fils de Dieu ou Jésus-Christ.

Ces diverses dénominations étant appliquées au même être peuvent paraître, au premier aperçu, presque synonymes, mais cependant elles ne le sont point car elles présentent toutes des sens différents qu'il ne faut point confondre, puisqu'ils sont relatifs aux deux natures distinctes qui se trouvent unies dans le seul et même être. Un examen réfléchi de ses actions pendant sa vie temporelle démontre cette vérité.

En effet, on ne voit dans Jésus que l'homme pur et saint qui a une sublime destination, abstraction faite de la divinité qui réside en lui, mais qui ne s'est point encore manifestée. Dans le fils de l'homme on ne voit que la même nature humaine ; il se qualifie ainsi tant qu'il veut cacher aux juifs et aux démons dont ils se rendent les organes, sa divinité, se présentant à eux comme un descendant d'Adam, père commun des hommes, et supposé n'être que le fils de Joseph, jusqu'à ce que le grand mystère de l'incarnation soit dévoilé aux hommes. Dans l'homme Dieu, c'est l'homme pur et saint, dont l'action paraît prédominer celle de la divinité qui se voile en lui. Dans le Dieu homme, c'est au contraire l'action divine qui se montre prédominante sur celle de l'homme. Dans le fils de Dieu qui est la qualité essentielle que l'archange lui a donné en annonçant à Marie son incarnation, c'est la divinité qui se manifeste avec éclat par l'organe de sa sainte humanité. Enfin dans Jésus Christ, c'est l'homme Dieu et divin : ce sont les deux natures unies dans un seul même être qui opèrent ensemble, sous une forme humaine les actions réunies qui appartiennent à chacune d'elle.

En général Jésus, depuis sa naissance jusqu'à son baptême au Jourdain, dans la tentation du Démon qu'il subit au désert, dans son agonie au jardin des oliviers, dans tout le cours de sa passion et sur la croix, ne présente que l'homme pur, saint et parfait, entièrement dévoué à la justice divine et abandonné à lui-même, à son seul libre arbitre ; la divinité qui réside essentiellement en lui paraît y suspendre son action pour laisser à sa sainte humanité tout l'honneur de la victoire réparatrice, sans cependant s'en séparer un seul instant ; elle s'y tient comme spectatrice du grand combat et le soutient pendant toute sa durée par sa présence : c'est là où l'homme Dieu ainsi abandonné est vraiment le modèle accompli de tous les hommes.

Mais lorsque Jésus-Christ, commençant sa mission, à la prière de sa mère qui est présente avec lui au festin des Noces de Cana, change l'eau en vin ; lorsqu'au désert et sur la montagne il multiplie quelques pains et quelques poissons dans une quantité suffisante pour nourrir tantôt 4.000 et tantôt 5.000 hommes exténués de besoins, et qu'il en reste en morceaux ramassés après les avoir rassasiés tous, de quoi remplir plus de paniers pleins qu'il n'y en avait avant la distribution ; lorsqu'il force les démons d'obéir à ses ordres, et d'abandonner sur le champ les corps des pécheurs qu'ils possèdent; lorsqu'il commande en maître à la mer, aux vents et à la tempête, de s'apaiser, et qu'ils lui obéissent ; lorsqu'il fait marcher et emporter son lit au paralytique qui depuis 38 ans attendait vainement auprès de la piscine le secours de l'ange et sa guérison ; lorsqu'il relève le fond des pensées les plus secrètes de la femme de Samarie et de beaucoup d'autres ; lorsqu'il ressuscite la fille de Jaïre, le fils unique de la veuve de Naïm que l'on portait en terre, et plus particulièrement encore Lazare, ce frère chéri de Marthe et de Marie, que Jésus aimait, qui depuis quatre jours était enseveli dans le sépulcre, et dont la chair corrompue répandait déjà une grande infection, qui cependant à son ordre sort du tombeau, et marche devant tous les assistants, ayant encore les jambes et toutes les autres parties du corps liées de bandelettes ; lorsqu'on le voit opérer toutes ces choses et une multitude d'autres aussi prodigieuses, qui pourrait douter que c'est le Verbe Tout Puissant de Dieu qui parle et qui commande à toute la nature par la bouche de l'homme Dieu ?

Principales circonstances de la vie temporelle de Jésus

Ayant donc distingué en lui les deux natures indivisiblement réunies en une seule et même personne, parcourons rapidement les principales circonstances de sa vie temporelle : elles compléteront notre instruction.

Jésus enfant, adolescent et jusqu'à l'âge de trente ans, ne paraît être qu'un homme ordinaire, distingué seulement par une sagesse au-dessus de son âge, par sa docilité et sa soumission envers ses parents ; il est assujetti à tous les travaux, à toutes les fatigues et à tous les besoins de la vie commune.

Parvenu à l'âge de trente ans, époque à laquelle il doit commencer publiquement sa mission réparatrice et l'instruction de ses disciples, après avoir été baptisé dans le Jourdain par Jean qui le reconnaît et le proclame pour le Messie promis, sa divinité est pour la première fois manifestée, par la descente de l'esprit saint qui vient reposer sur lui, et par les éclatantes paroles du père céleste qui le proclame hautement pour son fils bien-aimé, dans lequel il a placé toutes ses affections, et commande aux hommes de l'écouter : dès lors commence sa mission divine.

Il se retire dans le désert pour se préparer comme l'homme à la remplir, par la prière et par un jeûne rigoureux pendant 40 jours. Après ces 40 jours, il éprouve la faim, besoin humain qui démontre clairement que c'était sa pure et seule humanité qui se préparait si rigoureusement aux actes importants qu'elle devait opérer.

Le moment où il éprouve ce besoin physique de l'humanité est l'instant même que le prince des démons saisit pour le tenter dans tout son être ; c'est-à-dire dans les besoins physiques de son corps, dans la vie passive et passagère de ce corps, et dans sa nature active et spirituelle ; pour éclaircir les soupçons qu'il a conçus sur la véritable nature de Jésus, et pour s'assurer si la divinité résidait ou ne résidait pas en lui ; enfin s'il était ou n'était pas le Messie promis ; mystère que la sagesse divine voulait cacher au démon afin qu'il pût s'accomplir entièrement.

Les trois différents genres d'attaques que le démon porte astucieusement sur les trois parties constituantes de l'homme physique

Il faut soigneusement remarquer ici les trois différents genres d'attaques que le démon porte astucieusement sur les trois parties constituantes de l'homme physique.

1° Il attaque Jésus dans sa forme corporelle relativement à ses besoins, en lui disant : si vous êtes le fils de Dieu commandez que ces pierres deviennent des pains.

2° Après cette inutile tentative, il l'attaque dans sa vie passive, animale, corporelle, en lui disant sur le sommet d'une haute élévation : si vous êtes le fils de Dieu, précipitez-vous en bas, il ne vous arrivera aucun mal.

3° Après cette seconde attaque dans laquelle il est repoussé comme dans la première, il dirige la troisième qui est la plus importante sur l'être spirituel de Jésus en lui disant : si, vous prosternant devant moi, vous m'adorez, je vous donnerai tous ces royaumes du monde que vous voyez, et qui m'appartiennent.

Cette marche du démon est toujours la même ; c'est toujours par sa forme corporelle qu'il attaque l’homme ; il cherche à le séduire par les sens matériels, par l'amour de la vie animale et passagère, et par ses affections animales et sensibles ; ce sont les portes par lesquelles il cherche à s'introduire en lui, pour, de là, l'attaquer avec plus de succès dans son être spirituel.

L'homme Dieu soutint ces trois attaques par la force de sa pure volonté humaine et en reçut aussitôt le prix puisque les anges vinrent le servir. Sa victoire sur le démon nous rappelle la défaite de l'homme primitif en pareil cas : Jésus, second Adam, fait ici ce que le premier, laissé à son libre arbitre, devait faire et ne fit pas ; nous approuvons toutes les funestes suites de la chute du premier et tous les salutaires effets de la ferme volonté réparatrice du second.

Le premier Adam, comme représentant de la divinité dans l'univers créé, avait été doté de toute la force, de toutes les vertus et de toutes les puissances nécessaires pour remplir sa mission

Le premier Adam, comme image et ressemblance divine, comme représentant de la divinité dans l'univers créé, avait été doté de toute la force, de toutes les vertus et de toutes les puissances nécessaires pour remplir sa mission. Le principal objet de cette mission était de molester le principe du mal, de le contenir dans les bornes que la justice divine a prescrites à son action perverse, et de la resserrer tellement dans ces bornes qu'il se vit contraint de reconnaître son infériorité et sa dépendance originelle du divin créateur de tout, dont il prétend être l'égal, et de reconnaître en même temps la supériorité de l'homme sur lui et sur tous ses adhérents, ce qui aurait anéanti le mal par le repentir de celui qui l'a créé et enfanté. C'est ce grand but de la miséricorde divine sur les premiers coupables que la prévarication de l'homme a anéanti.

Le second Adam en Jésus Christ a été doté non seulement des mêmes forces, vertus et puissances que le premier, mais elles ont été éminemment fortifiées en lui par l'union intime et éternelle que le Verbe divin a fait de sa propre nature avec celle de l'homme, pour assurer le plein succès de sa mission réparatrice

Le second Adam en Jésus Christ, comme homme pur, n'a aucunement participé à cette prévarication ni aux vices de la conception des formes corporelles qui ont infecté toute sa postérité, a été doté non seulement des mêmes forces, vertus et puissances que le premier, mais elles ont été éminemment fortifiées en lui par l'union intime et éternelle que le Verbe divin à fait de sa propre nature avec celle de l'homme, pour assurer le plein succès de sa mission réparatrice.

Nous n'entreprendrons point ici le récit des faits particuliers de la vie publique de Jésus Christ : la lecture des saints Evangiles les fait assez connaître ; ils ne peuvent laisser aucun doute sur sa divinité puisqu'elle se manifeste en lui, à tout instant, par une multitude de miracles les plus éclatants.

Nous devons cependant faire remarquer qu'en opérant tant de faits prodigieux que nous devons attribuer essentiellement à la divinité qui réside en lui, il veut faire connaître à ses disciples qu'il y a une grande puissance innée dans l'homme réconcilié, par laquelle il peut opérer encore des faits prodigieux, lorsqu'il est uni à Dieu par une foi vive. Car, voyant ses apôtres saisis d'étonnement et d'admiration à la vue des miracles éclatants qu'il opère, il leur reproche leur peu de foi, et leur déclare que s'ils avaient la foi nécessaire, ils feraient les mêmes prodiges, et de plus grands encore, ce qu'il n'aurait pu dire si cette puissance n'était pas innée dans la nature de l'homme, car elle n'a jamais été reconnue dans les anges qui ne sont que les ministres de la volonté de Dieu, dans les cas particuliers où il les emploie. On s'étonne en lisant les saints évangiles d'y voir les soins et les précautions que prend Jésus pour cacher sa divinité et ne montrer que le fils de l'homme, et on en cherche les motifs.

L'incarnation du Verbe de Dieu uni à la nature humaine et l'avènement temporel du Messie avaient été si clairement prédits par le prophète Isaïe et par beaucoup d'autres, que les hommes en attendaient l'accomplissement, mais en oubliant qu'il était une victime dévouée volontairement à une mort violente et ignominieuse, par laquelle il devait opérer la réconciliation de genre humain. Le démon ne pouvait ignorer cette promesse, ni les suites humiliantes pour son orgueil qu'elle devait avoir. Il en redoutait l'accomplissement qui devait lui arracher tant de victimes de sa fureur, et en préserver les autres. Il avait donc le plus grand intérêt à faire mentir la prophétie, et à empêcher de tout son pouvoir que le Christ fût mis à mort ; et si Jésus, dès le principe, dès le commencement de sa Mission, se fût hautement et publiquement déclaré pour le fils de Dieu, en le prouvant à toute la nation, en la convainquant publiquement par ses miracles qu'il l'était réellement, quelle est la puissance humaine qui eût osé et eût pu le condamner à la mort ? Et ne mourant pas, que devenait alors la Rédemption promise par sa mort ? Il fallait donc, pour qu'il mourût, qu'il fût méconnu. Voilà pourquoi le démon cherchait à éclaircir ses doutes, ses soupçons sur la double nature ; et s'il le persécuta, s'il le fit ensuite condamner à une mort ignominieuse, ce ne fut que par une méprise de sa part en ne considérant Jésus-Christ que comme un pur homme dont la doctrine, la sainteté et la puissance de ses opérations humaines, lui enlevait en foule ses partisans.

Mais comme la divinité de Jésus-Christ était le dogme fondamental de la religion sainte qu'il venait établir, et faisait la preuve de la vérité de sa doctrine, il fallait que le dogme de sa divinité fût aussi déclaré et prouvé par lui-même, pour opérer la conviction de tous ceux que le père céleste lui a donné, et qui doivent être sauvés par la foi en lui : c'est aussi ce qu'il a fait. Si au commencement de sa mission il a mis quelque réticence dans les aveux qu'on lui demandait sur ce point si important, c'était pour nous apprendre que la vérité ne se présente qu'aux âmes pures, et qu'elle ne peut entrer que dans les cœurs disposés à la recevoir: voilà pourquoi il fait précéder la déclaration, l'aveu formel de sa divinité, par l'enseignement de sa doctrine qui disposait les esprits à y croire ; et lorsqu'il a multiplié ses disciples par le grand nombre des miracles qu'il fait et par l'attrait irrésistible qu'il leur inspire pour sa doctrine, dès lors il ne dissimule plus sa divinité ; il la déclare même devant ses mortels ennemi, qui prennent occasion de ces aveux pour le persécuter plus violemment, pour jurer sa perte, et pour le faire condamner à la mort : c'est ainsi que ceux-là mêmes deviennent, par leur ignorance et leur malice, les aveugles instruments de l'accomplissement des décrets divins pour la Rédemption des hommes.

La vérité sur le sacrement de la cène pascale

Le temps de la mission temporelle de Jésus-Christ étant accompli, il se prépare à retourner vers son père ; mais auparavant il veut faire avec ses apôtres cette dernière cène pascale, qu'il a désirée avec tant d'ardeur faire avec eux, et dans laquelle éclate tout à la fois la toute-puissance divine et l'amour le plus inconcevable de Dieu pour les hommes. Il veut, en les quittant, demeurer toujours avec eux, et se donne lui-même à eux dans les deux natures divine et humaine qui sont unies en lui ; car dans le sacrement de son corps et de son sang, il se donne véritablement et entièrement à eux et à tous ceux qui y participeront avec foi jusqu'à la fin du monde. La vérité de cet auguste sacrement a été souvent - et est encore - violemment attaquée. C'est le fruit de l'orgueil qui veut raisonner là où la faible raison humaine doit se taire ; de l'orgueil qui veut soumettre aux sens physiques matériels ce qui ne peut être conçu que par l'intelligence pure, éclairée par la foi. Plaignons le sort funeste des chefs des gestes dont l'orgueil a fait tant de ravages dans le champ de la vérité ; plaignons aussi ceux qui ont adopté pour leurs maîtres des hommes qui devaient leur être d'autant plus suspects qu'ils ne dissimulaient pas le dépit et l'orgueil qui les dirigeaient dans leurs écarts ; mais soyons indulgents, et prions pour ceux qui, restant de bonne foi dans l'erreur, conservent la foi et l'amour pour Jésus-Christ. Espérons même qu'ainsi qu'il l'a dit lui-même, ceux-là ne périront pas et que l'amour et la foi qu'ils conservent pour lui les sauveront.

De toutes les sectes chrétiennes qui ont attaqué la vérité de ce sacrement, la plus inconséquente et la plus coupable est celle qui ne veut admettre qu'une simple commémoraison de la sainte cène ; se fondant sur les paroles de Jésus-Christ : faites ceci en mémoire de moi. S'ils avaient apporté un peu de bonne foi dans l'examen qu'ils se sont témérairement permis, ils auraient bientôt reconnu qu'ils mettaient Jésus-Christ dans une évidente contradiction avec lui-même ; car ils ne nient pas que Jésus-Christ a dit en termes formels : Ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Ceci est mon sang qui sera répandu pour la rémission des péchés. Prenez et mangez, prenez et buvez-en tous.

Or, est-ce aux seuls apôtres, qui étaient seuls présents à la cène, qu'il a été donné de manger le vrai corps et de boire le vrai sang ? Qu'on nous dise donc où cette interprétation est prouvée. Il a dit ailleurs : Ma chair est véritablement une nourriture, mon sang est vraiment un breuvage : celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. Et cependant, si les apôtres comme seuls présents à la réalité ont pu seuls manger sa chair et boire son sang, et qu'il n'y ait plus pour nous qu'une simple commémoraison de cette réalité, tous les hommes, excepté les apôtres, doivent donc renoncer à voir jamais Jésus-Christ demeurer en eux, et à demeurer en lui, par cette manducation réelle qui leur serait à tous impossible. Cela est-il concevable ? Pourra-t-on jamais croire de bonne foi qu'il ait voulu faire des promesses si expresses, donner aux hommes, avec lesquels il veut habiter jusqu'à la consommation des siècles, des espérances si consolantes, pour les tromper dans leur attente, par l'impossibilité où il les aurait mis d'en voir l'accomplissement ? Bien plus, il dit encore ailleurs : si vous ne mangez la chair du fils de l'homme, et si vous ne buvez son sang, vous n'aurez point la vie en vous, vous n'aurez point de part avec moi. Voilà donc une malédiction éternelle, formellement prononcée contre celui qui ne mangera pas sa chair et ne boira pas son sang. Eh quoi ? Ce Dieu plein d'amour et de miséricorde pour moi, qui veut souffrir et mourir dans sa chair pour moi, me livrerait à une condamnation éternelle pour n'avoir pas fait ce qu'il ne m'aurait laissé aucun moyen de faire ? C'est un excès de délire inconcevable de l'imaginer ; et cependant, s'il n'a pas établi parmi les hommes successeurs de ses apôtres un moyen de perpétuer la consécration réelle du pain en son corps et du vin en son sang, comme il l'a fait lui-même en leur présence, je suis inévitablement, par cela même, condamné à la malédiction éternelle car jamais la commémoraison d'un acte si auguste, si important, que ces sectaires substituent à sa réalité, ne pourra remplacer la manducation réelle qu'il a si expressément recommandée. L'erreur de ces hommes orgueilleux tend donc évidemment à rendre l'homme éternellement malheureux par l'injustice de Dieu qui aurait exigé de lui l'impossible. Après la cène à jamais mémorable, dans laquelle l'amour et sa toute-puissance divine se sont manifestés avec tant d'éclat dans la personne de Jésus Christ dans laquelle il termina l'instruction de ses apôtres par ce discours sublime où il leur révéla, plus clairement qu'il ne l'avait encore fait, sa propre divinité cachée dans son humanité, les souffrances, les ignominies et la mort à laquelle il va être livré, par la trahison de l'un d'entre eux, sa résurrection glorieuse trois jours après, les grandes espérances qu'ils en doivent concevoir, et enfin la parfaite et éternelle glorification de son humanité ; suivons le dans le jardin des oliviers, suivons le dans cette agonie mortelle pendant laquelle il fait l'entier sacrifice réparateur de sa volonté humaine, qui doit précéder le sacrifice de sa vie même, par la mort qu'il subira le lendemain.

Jésus, au jardin des oliviers, fait l'entier sacrifice réparateur de sa volonté humaine qui doit précéder le sacrifice de sa vie même par la mort qu'il subira le lendemain

C'est là que nous allons retrouver Jésus seul, paraissant abandonné du ciel et de la terre, abandonné de ses disciples chéris qu'il venait de nommer ses amis, qui restent ensevelis dans un profond assoupissement lorsqu'il a le plus grand besoin des secours, des consolations, de leur amitié ; lorsqu'il les réclame avec une tendresse si touchante, en leur avouant que son âme est saisie d'une profonde affliction et qu'elle est accablée d'une tristesse mortelle ; c'est là que nous allons le retrouver seul, délaissé à son libre arbitre, à la seule volonté de l'homme pur, qui ne cesse pas cependant d'être intimement uni au Verbe divin qui réside en lui, qui fortifie son humanité, mais dont l'action paraît suspendue, pendant le terrible combat qui va se livrer, pour laisser à l'homme Dieu l'honneur et les fruits du triomphe.

Jésus-Christ, en cet état prosterné en terre pour prier son père, se voit la victime dévouée et vient s'offrir pour consommer ce sacrifice ; mais sa prescience divine montre à son humanité de combien de douleurs, d'humiliations, d'ignominies, sa mort doit être précédée ; son humanité s'en afflige, s'en effraye, et il s'écrie : Mon Père, tout vous est possible, faites que ce calice passe loin de Moi. Voilà bien ici le cri de la répugnance si naturelle à l'homme pour les souffrances et pour la mort.

Mais la soumission, la résignation de l'homme pur, reprenant promptement le dessus, il s'écrie de nouveau : qu'il en soit néanmoins non ce que je veux, mais bien ce que vous voulez. Il se lève pour aller vers ses disciples qu'il trouve endormis si près de lui ; il vient se prosterner une seconde fois, accablé de la même tristesse, éprouvant la même répugnance, formant la même demande, mais soumettant de même sa volonté à la volonté de Dieu. Il retourne vers ses disciples qu'il trouve dans le même état, et revenant se prosterner pour la troisième fois, il fait la même prière, il forme le même désir et se soumet avec la même résignation ; ses forces humaines sont expulsées par de si grands efforts ; une sueur de sang couvre son corps et découle jusqu'à terre ; mais le sacrifice de sa volonté, de cette volonté si active, si puissante dans l'homme pur est acceptée, et un ange lui est envoyé pour le consoler, pour le fortifier.

Cette descente de l'ange, ce secours céleste qui lui est envoyé, ne prouvent-ils pas évidemment que dans ce terrible combat, l'humanité seule agissait pour en supporter le poids et que la puissance divine de Jésus-Christ en était alors comme séparée ?

Il le fallait ainsi et cela ne pouvait être autrement : l'homme primitif, le premier Adam, ayant trahi et renversé par l'abus de sa liberté, par le mauvais usage qu'il avait fait de sa volonté et de toutes ses facultés, tous les desseins de la miséricorde sur les premiers coupables, avait provoqué contre lui-même les rigueurs de la justice divine. Cet abus de sa liberté et de sa volonté ne pouvait donc être réparé que par un être de la même classe, de la même nature, que par un homme pur, accepté pour victime, et dont la parfaite soumission pût apaiser et satisfaire la justice divine ; l'union du Verbe divin avec cet homme pur assurant le succès du sacrifice, sans diminuer aucunement le mérite de volonté de la victime qui le faisait, assurait en même temps le pardon et la grâce du genre humain. Ainsi, ne doutons pas que dans tout ce qui s’est passé dans le jardin des oliviers c'est l'homme seul qui a souffert, c'est l'homme seul qui a voulu ce que Dieu voulait de lui, et qui s'y est soumis ; car - nous le savons assez - Dieu est impassible et il ne peut ni souffrir ni mourir.

L'homme primitif, le premier Adam a prévariqué et consommé son crime par l'abus de ses trois facultés intellectuelles de pensée, de volonté et d’action

Mais avant de quitter le jardin des oliviers considérons des circonstances dignes de la plus grande attention pour l'instruction de l'homme.

L'homme primitif, le premier Adam, avait prévariqué et consommé son crime par l'abus de ses trois facultés intellectuelles de pensée, de volonté et d’action ; il avait outragé le père, le fils et le saint esprit, qui sont ensemble un seul Dieu. Il fallait donc que le second Adam, que l'homme Dieu réparât les mêmes outrages par les mêmes voies et dans les mêmes proportions. C’est ce qui explique pourquoi l'homme Dieu réparateur fait trois prosternations différentes avec les mêmes angoisses, faisant la même prière, et montrant toujours la même résignation ; et c'est aussi pourquoi le sacrifice de sa volonté n'est accepté qu'après la troisième, et que ce n'est qu'alors qu'il en reçoit le témoignage par l'ange qui lui est envoyé pour le consoler et le fortifier.

Aussitôt que l'homme Dieu a consommé le sacrifice de sa volonté, il reprend le calme et la sérénité de l'homme pur, qui s'est parfaitement soumis à la volonté de Dieu. C'est avec ce calme de l'âme qu'il va retrouver ses disciples, qu'il les invite à se reposer, et qu'il va au devant de ceux qui, conduits et amenés par le traître Judas, viennent le saisir. C’est toujours l'homme pur, et agissant librement et volontairement, qui se montre dans le reste de sa passion. Cependant ici sa divinité se manifeste un moment en faisant reculer et renverser par terre les satellites qui viennent le prendre ; quand, après leur avoir demandé "qui cherchez-vous ? ", il leur répond "c'est moi". La force divine de cette parole les remplit d'épouvante et les terrasse ; mais il les rassure, parce qu’il veut souffrir et mourir. Cette circonstance n'eut donc lieu que pour nous apprendre que s'il l'eût voulu, il aurait pu leur échapper alors comme il l'avait fait d'autres fois ; mais son heure étant venue, il ne résiste pas, et il se livre volontairement.

Nous ne le suivions pas dans toutes les autres circonstances de sa passion, ni du supplice de la croix qu'on lui fait subir ; les évangélistes ont tout dit, il nous suffit de les lire, pour admirer à chaque instant sa patience et sa parfaite soumission. La victime s'est dévouée sans réserve : tout le reste de sa passion n'est que la conséquence de son sacrifice. On le voit sur la croix, comme au jardin des oliviers, il est toujours l’homme pur, fortifié jusqu'à la fin par son union avec le Verbe, mais toujours laissé à sa propre volonté, afin qu'il puisse mériter par elle, jusqu'à la consommation du sacrifice, la glorification que cette consommation assure à sa sainte humanité. Il ne veut pas que nous puissions douter de cet abandon, puisqu'avant d'expirer il s'écrie douloureusement : "Mon père, mon père, pourquoi m'avez-vous abandonné ? ". Cependant comme il ne veut pas non plus que nous pensions que, sur la croix, comme auparavant, sa divinité soit séparée de son humanité, il manifeste ici sa divinité en promettant pour le jour même une place en Paradis avec lui au criminel repentant, qui était crucifié à ses côtés ; quel autre que Dieu seul pouvait faire cette promesse ? Le grand œuvre de la Rédemption du genre humain étant consommé, l'homme Dieu expire sur la croix. A l'instant même, la nature entière parait bouleversée ; les prodiges éclatent de toutes parts, et d'une manière si frappante et si générale qu'un philosophe païen qui les observe dans sa contrée s'écrie : "l'auteur de la nature souffre en ce moment, ou l'univers entier va se dissoudre".

La conduite criminelle, inique et révoltante de Ponce Pilate, gouverneur de la Judée, et ceux qui s'en rendent lâchement les imitateurs

Parmi les causes secondaires qui ont plus ou moins contribué à l'accomplissement du décret divin de la Rédemption des hommes par la mort de Jésus-Christ, la principale, qui est sans contredit la conduite criminelle, inique et révoltante de Ponce Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains, mérite de notre part la plus sérieuse attention, moins pour les grandes conséquences qui en résultèrent alors, puisqu'elles entraient toutes dans les desseins de l'amour infini de Dieu pour les hommes, qu'à cause de l'exemple scandaleux qu'elle a laissé à ce grand nombre de Chrétiens faibles et hypocrites, qui, presque par habitude comme sans remords, s'en rendent lâchement les imitateurs.

Pilate, revêtu de l'autorité du prince qu'il représentait, chargé de rendre la justice qu'il devait à tous, après avoir entendu les plaintes et les accusations que lui adressaient tumultueusement contre l'homme Dieu les prêtres et les chefs de la nation juive qui lui demandaient sa mort avec un ton d'aigreur et d'emportement qui décelait leur vrai motif, et qui ne permit plus au juge de douter que c'était uniquement par haine et jalousie qu'ils sollicitaient si ardemment sa condamnation ; après avoir entendu les témoins subornés dont les témoignages sont reconnus vagues et trop insignifiants, et avoir interrogé à plusieurs reprises l'homme Dieu, et admiré la sagesse de sa conduite, de ses réponses, de son silence même lorsqu'il ne croit pas devoir répondre à certaines questions, il le déclare innocent des accusations portées contre lui ; et cependant, par une inconséquence inconcevable, croyant sans doute calmer par sa lâche complaisance la fureur de ses ennemis, il le condamne à une ignominieuse flagellation, qui était dans certain cas le châtiment des esclaves ; mais cette condamnation, qui ne pouvait satisfaire la justice puisque Jésus qu'il jugeait innocent n'était pas esclave, ni la haine de ses ennemis qui exigeaient sa mort, ne fut donc qu'un lâche et violent moyen employé par un juge inique qui voulait transiger avec sa conscience.

Après cette sanglante flagellation Pilate présente Jésus à ses ennemis, leur disant « Ecce homo », et croyant désarmer leur haine par le triste spectacle qu'il offre à leurs yeux. Mais il se trompe, car ils lui demandent à grands cris sa mort ; Pilate, qui désire le sauver, se rappelle qu'il doit à la nation, au temps de Pâques, la délivrance d'un prisonnier, et propose au peuple assemblé la délivrance de Jésus, mais les prêtres et les chefs excitent le peuple à demander que Barrabas lui soit délivré et que Jésus soit crucifié ; ils le menacent même de la disgrâce de César s'il persiste à refuser leur demande. Pilate, effrayé comme tous les ambitieux en pareil cas des suites de cette menace, cède à leurs instances, quoique bien convaincu de l'innocence de Jésus, et méprisant l'avertissement qu'il reçoit de sa femme qui l'invite à ne prendre aucune part dans l'affaire de ce juste persécuté, lui révélant qu'elle a été bien tourmentée à ce sujet dans un songe qu'elle a eu la nuit précédente, il se fait apporter de l'eau pour se laver les mains en se déclarant innocent de sa mort ; après cette ridicule démonstration d'équité, il le condamne et le livre aux juifs pour le crucifier. Des soldats le saisissent aussitôt et le mènent sur le Calvaire ; il y est crucifié et, quelques heures après, il expire sur la croix. Chrétiens équivoques, lâches esclaves du respect humain, qui ne comptez pour rien vos premiers devoirs envers Dieu et la religion sainte que vous dites professer, qui les sacrifiez sans cesse au désir de plaire au monde et à ceux qui en suivent les maximes, qui rougissez des préceptes, des conseils, des maximes de l'évangile, et négligez même de les connaître, de les étudier, vous considérant plus libres dans votre ignorance et moins rigoureusement assujettis au devoir de les mettre en pratique, voyez dans Pilate le tableau vrai de votre conduite habituelle, des mauvaises dispositions de votre cœur, et rougissez de vous mêmes si vous n'êtes pas encore totalement dépravés.

Dieu veut être adoré en esprit et en vérité et non par des ridicules simagrées

Défendu pendant les premiers temps de votre vie par les principes de l'éducation chrétienne que vous avez reçue, vous avez lutté quelque temps contre le torrent d'incrédulité qui inonde le monde, vous flattant peut-être de pouvoir y résister. Mais bientôt vos passions se sont réveillées, l'ambition, l'amour d'une vaine gloire et des honneurs passagers qu'elle peut quelquefois procurer, se sont emparés de vous ; la société des demi savants, presque tous infectés du poison de l'incrédulité est devenue par goût et par choix le vôtre, et sa doctrine impie et dangereuse, a achevé votre défaite. Si vous n'osez pas encore renoncer ouvertement aux actes publics du christianisme, vous vous y livrez le plus rarement possible, et toujours en examinant avec soin quel degré de considération vous pourrez acquérir ou conserver avec la compagnie plus ou moins recommandable à laquelle vous vous associez pour ces actes ; car ce n'est plus à Dieu que vos pensées et vos actions se rapportent : c'est au monde seul, et vous n'agissez plus que machinalement et par un reste d'habitude dans vos actes religieux.

Hypocrites ! Est-ce donc là la promesse que vous avez faite à Dieu dans votre baptême, ou qui a été faite alors en votre nom et que vous avez ratifiée vous-même ? Vous pouvez bien vous faire illusion, mais pouvez-vous tromper celui qui est la lumière et la vérité même, qui sonde les cœurs et lit les pensées les plus secrètes ? Il vous demande un culte pur et sincère, auquel toutes les puissances et les facultés de votre être doivent concourir ; il veut être adoré en esprit et en vérité ; et vous ne lui répondez que par des ridicules simagrées. Ah ! Tremblez et craignez qu'il ne réalise contre vous la menace terrible qu'il a faite à vos semblables : "Quiconque, a-t-il dit, se déclarera contre moi devant les hommes je me déclarerai contre lui devant mon Père qui est dans le ciel". Priez le donc du fond du cœur afin que les réflexions qui vous sont présentées ici germent dans le vôtre et vous fassent prendre de fermes résolutions contre le maudit respect humain qui vous perdrait infailliblement.

Nous avons fermement et invariablement reconnu l'union intime parfaite et à jamais indivisible qui a été faite en Jésus Christ dès l'instant de sa conception dans le sein de la vierge Marie de la nature divine incréée avec la nature humaine créée ; et si ce que nous avons dit là-dessus pouvait laisser le moindre doute sur votre ferme croyance, ce ne serait qu'à des expressions mal choisies ou mal interprétées qu'il faudrait l'attribuer.

Récapitulatif du traité des deux natures

Après avoir considéré l'excellence originelle de l'homme primitif, sa haute destination et la grande puissance et autorité dont il fut revêtu, pour pouvoir accomplir les desseins de l'amour et de la miséricorde en faveur des premiers coupables, et l'ayant vu ensuite rendre tous ces puissants moyens inutiles par sa prévarication, nous avons reconnu la nécessité de l'union des deux natures en Jésus Christ, pour rendre infaillible le succès de la réparation universelle dont il s'était chargé. Union nécessaire pour le rendre invincible dans la consommation du sacrifice qu'il avait à faire, en se soumettant volontairement à la fureur de ses ennemis, aux outrages, aux humiliations les plus rebutantes et à la mort la plus ignominieuse, sans affaiblir le mérite de la volonté humaine qui consentait à s'y dévouer. Nous avons aussi reconnu que les deux natures, quoique toujours unies en Jésus-Christ, ont cependant opéré chacune distinctement, sans confusion, et quelquefois toutes les deux ensemble, leur action particulière, selon les cas et les circonstances. Enfin nous avons reconnu que quoi que les deux natures soient toujours unies et existantes en Jésus Christ sans qu'il puisse, s'en faire aucune séparation réelle, l'action de sa divinité s'est montrée comme suspendue en lui et, en quelques sorte, séparée dans quelques circonstances de sa vie temporelle. Nous avons vu cette suspension spécialement marquée pendant la tentation qu'il a éprouvée au désert, après un jeûne de 40 jours ; elle nous a paru encore plus frappante pendant cette angoisse, cette tristesse mortelle dont il fut saisi dans le jardin des Oliviers, et dans la nuit de sa passion, jusqu'à sa mort sur la croix ; c'est dans ces terribles combats qu'il a paru entièrement abandonné à lui-même, à son libre arbitre, à sa seule volonté d'homme, toujours fortifiée en lui par la présence du Verbe, pour lui laisser jusqu'à la fin du combat le mérite de la victoire sur la mort, et du triomphe le plus complet sur les puissances de l'enfer déchaînées contre lui.

Jésus, pendant les trois jours qu’il passe aux enfers, libère les âmes en enfer, purifie les couches d'expiations et de putréfactions, rompt les limbes et conduit les justes au sur céleste

Mais Jésus Christ, étant mort en vainqueur, rentre aussitôt dans les droits de l'union inaltérable de la nature divine et de la nature humaine glorifiées en sa personne. Son âme pure et sainte, unie au Verbe tout puissant, descend dans les enfers, dans ces lieux d'horribles privations ; dans ces lieux ou la multitude des hommes précédents, égarés par la séduction du prince du monde qui leur avait fait entasser crimes sur crimes, gémissait sous la plus affreuse tyrannie ; c'est à ces malheureux opprimés qu'il porte les premiers secours de la Rédemption générale du genre humain. Il va dans ces lieux ténébreux enchaîner pour toujours la puissance de celui qui prétendait être son égal ; et pour lui prouver son infériorité et sa dépendance, il lui arrache les victimes de sa malice contre l'homme et de sa fureur contre Dieu ; il rend à ces malheureuses victimes la liberté d'user encore contre lui de leur volonté qu'il avait jusque-là enchaînée à la sienne, et de pouvoir cueillir encore le fruit de la Rédemption.

Après ceux-là, il va purifier les couches d'expiations et de purification ; ces lieux où des hommes moins coupables, qui avaient connu et adoré un Dieu créateur de toutes choses, expiaient douloureusement leurs égarements temporels et subissaient la peine due à la prévarication de leur père temporel, et à sa postérité ; il les console, il les fortifie en se montrant à eux en vainqueur de leur ennemi et il leur montre un terme à leurs peines dont il abrège la durée.

Il va enfin se montrer aux patriarches et à tous les justes qui avaient attendu sur la terre avec foi et espérance le jour qui venait luire devant eux ; ce jour heureux qu'Abraham, plein de foi, avait vu et désiré avec ardeur. Il les console d'une si longue attente, et pour récompenser leur foi, il rompt les barrières de ces lieux de captivité que nous nommons Limbes et les conduit en triomphe, comme parfaitement réconciliés, dans ces lieux de repos et de béatitude temporelle où tous les heureux réconciliés attendent en paix la fin des temps, pour aller ensuite ensemble, comme bénis du père, jouir éternellement de leur sanctification, au-dessus de l'espace créé dans cette bienheureuse immensité dont le sang de Jésus Christ leur a ouvert l'entrée. C'est à ces grands et sublimes travaux de l'amour et de la miséricorde divine, que Jésus-Christ, vainqueur de la mort et de Satan, a employé les trois jours de sa sépulture, ces trois jours pendant lesquels il est resté ignoré et invisible à tous les hommes de la terre.

Jésus ressuscite dans un corps glorieux

Mais à peine le troisième jour est commencé, il ressuscite glorieusement du tombeau, par sa propre divine puissance, et commence à se montrer à ceux qui l'ont aimé le plus tendrement, sous une nouvelle forme corporelle, en tout semblable à celle dans laquelle il avait vécu parmi les hommes ; mais glorieuse et impossible, dont il se revêt, et qu'il fait aussi disparaître à son gré. C'est avec cette même forme glorieuse qu'après avoir conversé, marché, mangé même avec ses disciples, pendant quarante jours, leur apparaissant subitement, et disparaissant aussi subitement de devant eux, quand il lui plaît, après leur avoir recommandé de baptiser en son nom, d'enseigner aux hommes le mystère ineffable de la trinité divine du père, du fils et du saint esprit, faisant un seul Dieu, il monte glorieusement au ciel en leur présence, où il sera éternellement le Dieu rendu visible aux anges et aux sanctifiés, dans cette forme humaine glorifiée.

Mais quelle est donc la nature de cette nouvelle forme corporelle, et qu'est-ce qui constitue la différence essentielle de celle-ci avec la première, demanderont ces hommes charnels et matériels, qui ne voient rien que par les yeux de la matière, et ceux qui sont assez malheureux pour nier la spiritualité de leur être, et aussi ces hommes qui, attachés exclusivement au sens littéral des traditions religieuses, ne veulent voir dans la forme corporelle de l'homme primitif, avant sa chute, qu'un corps de matière comme celui dont il est actuellement revêtu, en y reconnaissant seulement une matière plus épurée ? C'est Jésus-Christ lui-même qui va leur prouver la différence essentielle de ces deux formes corporelles, et leur destination, en se revêtant de l'une après sa résurrection, après avoir anéanti l'autre dans le tombeau.

Explication de la résurrection glorieuse des corps

Jésus homme Dieu, voulant se rendre en tout semblable à l'homme actuel, pour pouvoir lui offrir en lui un modèle qu'il pût imiter en tout, s'est soumis à se revêtir, en naissant, d'une forme matérielle, parfaitement semblable à celle de l'homme puni et dégradé. Elle diffère cependant en ce point unique que la forme matérielle de l'homme conçu par la concupiscence de la chair est corruptible, au lieu que la forme matérielle de Jésus, conçue par l'unique opération du saint esprit, et sans aucune participation de sens matériels, est incorruptible. Mais Jésus-Christ dépose dans le tombeau les éléments de la matière et ressuscite dans une forme glorieuse qui n'a plus que l'apparence de la matière, qui n'en conserve pas même les principes élémentaires et qui n'est plus qu'une enveloppe immatérielle de l'être essentiel qui veut manifester son action spirituelle et la rendre visible aux hommes revêtus de matière. Si on pouvait encore douter de cette importante vérité, qu'on réfléchisse sérieusement sur les étonnantes apparitions sous formes humaines de l'archange Gabriel à Marie et à Zacharie, père de Jean Baptiste, sur celles des anges envoyés à Abraham, pour lui prédire la naissance d'Isaac, et la punition de Sodome, de l'ange conducteur de jeune Tobie, et d'un grand nombre d'autres apparitions semblables des esprits purs dont la forme corporelle a été réintégrée en eux-mêmes et a disparu aussitôt que leur mission particulière fût terminée ; elles prouvent toutes la même vérité. Jésus Christ ressuscité se revêt de cette forme glorieuse chaque fois qu'il veut manifester sa présence réelle à ses Apôtres, pour leur faire connaître que c'est de cette même forme, c'est-à-dire d'une forme parfaitement semblable et ayant les mêmes propriétés que l'homme était revêtu avant sa prévarication, et pour leur apprendre qu'il doit aspirer à en être revêtu de nouveau après sa parfaite réconciliation, à la fin des temps. C'est là en effet cette résurrection glorieuse des corps qui seront en même temps changés, pour les hommes réconciliés, ainsi que l'exprime Saint Paul, mais qui ne seront pas changés pour les réprouvés ; c'est enfin cette résurrection glorieuse dont la manducation réelle du corps et du sang de Jésus-Christ en apporte, dans tous ceux qui y participent dignement, le germe fructificateur.

Tout homme instruit de l'excellence originelle de l'homme primitif, de sa haute et sublime destination dans l'univers créé, des grandes vertus, puissance et autorité dont il fut revêtu pour la remplir, ne peut se dissimuler en voyant l'homme actuel déchu de toute sa gloire, tombé dans l'avilissement, malheureux et devenu l'esclave de l'implacable ennemi dont il avait été établi le dominateur, et soumis à un état de sévère punition justement méritée ; c'est l'orgueil, dont il reçoit encore journellement et à tout instant de nouvelles atteintes qui l'a perdu ; c'est un abus énorme de sa puissance, de sa volonté et de toutes ses facultés intellectuelles qui l'a séparé de Dieu ; lié par son choix au mal, il s'est rendu incapable de se rapprocher par lui-même du bien, et il resterait éternellement séparé de son Dieu si l'amour infini du créateur pour sa créature chérie n'eût détruit cette barrière d'éternelle séparation par son incarnation dans un corps d'homme dont il a voulu se revêtir pour pouvoir souffrir et mourir dans ce corps et expier ainsi, pour le coupable, tout ce qu'il devait à la justice.

C'est par l'abus de sa volonté que l’homme s'est rendu coupable et a mérité sa punition, et ce n'est que par un meilleur et constamment bon usage de sa volonté qu'il peut réparer sa faute

Mais pour que l'homme puisse individuellement recueillir les fruits de la Rédemption du genre humain et s'approprier la pleine jouissance de la part qui lui en est destinée, il faut qu'il contribue par tous les efforts dont il est capable à l'acquérir ; et comme c'est par l'abus de sa volonté qu'il s'est rendu coupable et a mérité sa punition, ce n'est que par un meilleur et constamment bon usage de sa volonté qu'il peut réparer sa faute ; il faut donc nécessairement que, sans cesse, et en toutes occasions de quelque importance, il fasse et renouvelle du fond du cœur le sacrifice de sa volonté propre, de cette volonté du vieil homme qui lui est restée pour son malheur ; il faut qu'il contracte l'heureuse habitude d'une entière abnégation de la sienne, et de la plus parfaite résignation à celle de Dieu, qui se fera toujours assez connaître quand sa résignation sera sincère. Nous en sentons tellement l'importance que nous la demandons tous les jours à Dieu, dans la prière qu'il nous a lui-même enseignée ; mais convenons de bonne foi que nous la faisons souvent par habitude et sans beaucoup de réflexion ; dans ce cas, que peut-elle produire ?

L’homme doit faire le sacrifice de sa volonté propre ; la vie entière lui est donnée pour lui apprendre à le faire, J.C. est venu sur la terre pour nous l'enseigner autant par son exemple que par ses instructions

Le sacrifice de la volonté propre, et l'entière abnégation de soi-même, sont cependant si nécessaires à l'homme qu'il ne doit pas espérer sa parfaite réhabilitation tant que ce sacrifice n'aura pas été fait, complété et accepté par la justice. La vie entière lui est donnée pour lui apprendre à le faire ; mais souvent - et presque toujours - il arrive à son terme avant de l'avoir bien commencé, et il reste bien à plaindre ; mais la divine miséricorde, toujours active en sa faveur, sans contrarier néanmoins les droits de la justice, vient à son secours ; elle lui accorde une seconde vie qui sera prolongée selon ses besoins ; elle a créé pour lui un lieu de souffrances expiatoires, à différents degrés, et de privation purificatoire, dans lequel il pourra accomplir son œuvre et mériter sa parfaite réconciliation ; car c'est là que, soufrant autant et aussi longtemps que l'exige la justice, mais heureux par une ferme espérance, il payera sa dette jusqu'à la dernière obole.

Chrétiens, ne vous faites donc pas illusion, et quelles que soient vos opinions sur l'état des âmes justes qui quittent ce monde, n'oubliez jamais que rien d'impur ne peut entrer dans le ciel, et que celui qui emporte avec lui la moindre souillure ne peut habiter avec celui qui est la pureté et la sainteté mêmes. Soyez donc pleins d'amour et de reconnaissance pour ce Dieu Bon qui, connaissant votre foi blessée, a établi pour vous des moyens d'expiations et de purification satisfactoires.

Le précepte d'une entière soumission à la volonté de Dieu et d'un parfait renoncement à soi-même est si absolu, et sa constante exécution est en même temps si difficile, qu'il paraît que notre divin Seigneur et unique maître J.C. est venu sur la terre pour nous l'enseigner, autant par son exemple que par ses instructions ; quel plus grand exemple pouvait-il nous laisser que son consentement, trois fois répété dans le jardin des oliviers, de mourir ignominieusement sur une croix malgré la répugnance extrême que son humanité effrayée venait de manifester ? Ô hommes quelle leçon ! Méditez-la jour et nuit et ne la perdez jamais de vue.

Le travail auquel nous nous sommes livré pour distinguer l'action particulière dans certains cas des deux natures réunies en Jésus-Christ nous a conduit à diverses observations et explications qui l'ont beaucoup prolongé et dont nous laissons le soin à nos lecteurs d'apprécier l'utilité.

Le grand mystère de la Croix

Mais avant de le terminer, arrêtons-nous encore quelques instants à méditer le grand mystère de la Croix, qui avait été prédestinée à être l'instrument du supplice de l'homme Dieu et du grand œuvre de la réconciliation universelle. Cette méditation nous fournira une nouvelle occasion d'admirer la marche et les voies de la divine providence qui dispose à son gré de tous les événements dans l'ordre temporel et politique pour parvenir à ses fins.

Toutes les grandes nations se dirigent ordinairement, tant qu'elles sont libres, dans leurs affaires particulières, par les lois, règles et usages qu'elles ont adoptés. La loi de Moïse était encore, à l'époque dont nous parlons, littéralement observée chez les Juifs, et les dirigeait en tout ce qui concernait leur religion, leur culte et leur gouvernement intérieur ; mais depuis qu'ils étaient tombés sous la domination des Romains et que la Judée n'était plus qu'une province romaine, ils avaient été assujettis aux lois romaines ; celle de Moïse condamnait à être lapidé ceux qui se rendaient coupables de crime contre la religion. Jésus, accusé de s'être fait égal à Dieu devant un tribunal qui ne voulait voir en lui qu'un homme ordinaire malgré les miracles les plus frappants, aurait donc été condamné à être lapidé, et cependant les prophéties avaient prédit que le Christ serait mis à mort par un autre genre de supplice ; il avait indiqué lui-même celui qui lui était destiné, en disant qu'après avoir été élevé de la terre à l'instar du serpent d'airain sous Moïse, "il attirerait tout à lui". D'un autre côté, le grand conseil sacerdotal, qui était chez les Juifs le tribunal suprême de la nation, composé du Grand Prêtre et des Chefs des familles sacerdotales, des docteurs de la loi, des Scribes et des Pharisiens, avait perdu le droit de vie et de mort sur le peuple, ce droit étant resté dévolu aux Romains dont l'usage était de condamner à être crucifiés les malfaiteurs et les esclaves rebelles ; il a donc fallu une grande révolution dans l'ordre politique des événements temporels pour faire substituer le supplice de la croix qui entrait dans les desseins de la providence à celui d'être lapidé ; il est même remarquable que les Juifs y aient beaucoup contribué puisque, lorsque Pilate ne pouvant parvenir à délivrer Jésus, il le leur renvoya pour être jugé selon leurs propres lois ; ils s’y refusèrent et demandèrent à grands cris qu'il fût crucifié.

L'homme primitif fut placé au centre des quatre régions célestes, qui a été dénommé Paradis terrestre

L'homme primitif, le premier Adam émané de Dieu en toute sainteté, ensuite émancipé dans l'espace universel, et revêtu d'une forme corporelle glorieuse et non passive, fut placé au centre des quatre régions célestes, qui a été dénommé Paradis terrestre, quoique très éloigné d'aucune partie de la terre ; ayant été établi homme Dieu de la terre pour y représenter le créateur, ce centre quaternaire fut le chef-lieu de sa correspondance avec les êtres spirituels bons, placés avec lui dans l'espace créé et chargés d'y maintenir l'ordre dans toutes ses parties ; il fut aussi celui de sa domination sur les esprits rebelles qu'il était chargé de molester en tout et de contenir sans cesse leur action perverse. C'est de ce centre universel de l'espace créé que l'homme, usant à son gré - mais toujours conformément à la volonté du créateur et aux règles qu'il lui avait prescrites - du Verbe de création de formes pures et glorieuses semblables à la sienne, aurait appelé auprès de lui, successivement et jusqu'à la fin des temps accordés par la justice et la miséricorde divine, tous les autres êtres de sa classe destinés à l’aider et à concourir tous ensemble à l'accomplissement de ce grand œuvre. L'homme aurait donc eu la gloire de coopérer par sa volonté à l'émancipation de chaque intelligence humaine que Dieu l'engageait avec lui d'envoyer habiter le temple où la forme glorieuse que sa volonté lui destinait.

L'homme primitif est exalté dans son orgueil et séduit par le chef démoniaque qui s’empare de sa volonté

Ayant reçu dans les premières opérations qu'il avait faites en présence et par ordre du Créateur, des preuves éclatantes de la puissance dont il était revêtu et qu'il venait de manifester, il fut livré à son seul arbitre pour la plus importante qui lui restait à faire. Ébloui de cette grande puissance, il s'en glorifia ; il oublia qu'il la devait à l'amour et à la libéralité de son créateur à qui elle appartenait, et qu'il n'en était que le dépositaire pour l'exécution de ses desseins ; il se complut dans cette pensée orgueilleuse qui fut connue et saisie par le chef démoniaque. Ce désordre dans sa faculté pensante devint bientôt un sommeil dangereux pour son intelligence qui en resta la victime ; son astucieux ennemi exalta son orgueil, le séduisit, lui fit oublier ses serments et promesses envers le créateur, s'empara de sa volonté et l'entraîna dans la révolte.

L’homme est chassé du paradis mais se repend ; un divin rédempteur lui est alors promis

L'homme devenu coupable fut aussitôt chassé de ce centre pur et sanctifié qu'il venait de souiller ; il fut précipité sur la terre et condamné à venir ramper sur sa surface dans une forme matérielle et imparfaite dont il venait de créer le modèle et à laquelle il a assujetti, par une suite nécessaire, toute sa postérité. Epouvanté du résultat de son inique opération, il reconnut et confessa son crime ; son repentir lui mérita la promesse d'un libérateur dont la médiation obtiendrait son pardon ; c'est ce qu'il a heureusement éprouvé par la médiation du divin rédempteur et par son sacrifice sur la croix.

La croix est un grand emblème universel

La croix présente elle-même à l'intelligence dans son ensemble et dans ses partie un grand emblème universel, principalement dans la circonstance dont nous nous occupons ; par sa partie inférieure qui est la plus prolongée, elle paraît fixée dans le centre de la terre, de cette terre souillée de tant d'abominations que toutes les eaux du déluge n'ont pu effacer, et que le sang d'une grande et pure victime pouvait seul purifier. De là, elle s'élève dans une plus haute région où elle forme un grand réceptacle par ses quatre branches qui, s'étendant sans obstacle, paraissent aller toucher les quatre points cardinaux de l'espace universel et y porter les fruits de l'action unique et générale qui s'opère au centre de ce réceptacle par l'homme Dieu mourant sur ce centre pour tout réparer. Ce qui nous fait facilement concevoir les immenses et prodigieux résultats que l'action toute puissante du Verbe de Dieu, uni à Jésus mourant sur la croix, a opéré sur la nature entière, visible et invisible, spirituelle et corporelle, qui en était le témoin et l'objet.

La croix nous rappelle les quatre régions célestes qui furent le premier domaine de l'homme dans son état de pureté et d'innocence, comme son centre sur lequel le divin réparateur expire, nous rappelle ce centre des régions, ce Paradis terrestre qui fut le siège de sa gloire et de sa domination

Cette croix, en divisant fugitivement par ses quatre branches en quatre parties, l'espace créé, nous rappelle assez clairement les quatre régions célestes qui furent le premier domaine de l'homme dans son état de pureté et d'innocence, comme son centre sur lequel le divin réparateur expire, nous rappelle ce centre des régions, ce Paradis terrestre qui fut le siège de sa gloire et de sa domination, qu'il souilla par son crime, et dont il fut honteusement expulsé pour toujours. Cependant, la glorieuse destination de ce lieu de délices ne fut pas totalement détruite : la justice divine se contenta alors d'y établir une garde sûre, armée d'une épée de feu, pour en défendre l'entrée ; mais l'homme Dieu, ayant pleinement satisfait par sa soumission et par sa mort à la justice divine, c'est de ce centre de douleur et d'ignominie qu'il ressuscite glorieusement, et, triomphant dans son humanité, il réhabilite l'homme et toute sa postérité dans le droit primitif de pouvoir habiter encore le centre de ces régions célestes. Il le purifie et le sanctifie de nouveau pour le disposer à devenir le lieu de repos et de paix où les âmes justes, après avoir été purifiées et réconciliées, iront attendre à l'ombre de la grande lumière dont la pleine jouissance leur est assurée : la fin des temps, l'instant fortuné où les barrières de l'espace étant rompues, elles iront toutes ensemble, à la suite du divin rédempteur, recevoir le prix ineffable de la Rédemption, qui sera éternelle, absolue et inaltérable béatitude.

Le signe de la croix

Que de profonds mystères ! Que de sublimes vérités rappelle donc au Chrétien le signe si respectable de la croix, chaque fois que, voulant se mettre en présence de son créateur et invoquer son adorable trinité, il le trace sur lui-même ! Par le premier temps du signe, celui qui le fait avec le respect et la confiance nécessaire se met de cœur et d'esprit en présence de la Sainte Trinité ; il invoque la toute-puissance du Père et en réclame les salutaires effets pour lui et pour tous ceux pour qui il se propose de prier. Par le second temps, il invoque rapidement et par la pensée, l'amour et la sagesse du fils et implore sa miséricorde. Par le troisième temps, il demande la lumière divine dont il sent le besoin pour se diriger et les dons spirituels dont l'esprit saint est le dispensateur. Enfin par l'amen qui en fait le quatrième temps, il demande à connaître la volonté divine, il offre le sacrifice journalier de la sienne ; il demande aux trois puissances qui ne sont qu'un seul Dieu d'être réhabilitées dans sa puissance quaternaire originelle, et d'en pouvoir encore recueillir quelques fruits. Comment se fait-il donc qu'un acte religieux si expressif, si solennel, ne soit presque plus, pour la plupart des Chrétiens, qu'un acte irréfléchi de pure forme et d’habitude ? Et cependant l'ingrat ose se plaindre de n'être pas exaucé ; qu'il en cherche donc la cause en lui-même et qu'il se réforme. Chrétiens faibles et chancelants, méditez donc souvent le grand mystère de la croix ; cette méditation vous fournira une nourriture solide qui fortifiera votre foi, qui ranimera votre amour et votre reconnaissance et raffermira vos plus chères espérances.

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