Jean-Baptiste Willermoz - 9 Cahiers de Doctrine - Cahier numéro 4
Dialogue après la réception du frère Grand Profès entre le chef initiateur et le nouveau reçu, servant d’introduction aux explications demandées sur l’instruction qu’il a reçue et aux développements désirés de la Doctrine Secrète de l’Ordre pour compléter son initiation
LE NOUVEL INITIE
Les sublimes instructions qui m'ont été données pour ma réception dans la haute et dernière Classe Secrète de l'Ordre Maçonnique dans le Régime Rectifié m'ont rempli de joie. A chaque nouveau trait de lumière, j'ai senti s'agrandir tout mon être. Ces instructions, destinées à récompenser le zèle, persévèrent, et les désirs bien épurés de ceux qui cherchent de bonne foi et sans curiosité les moyens de parvenir à la connaissance des vérités les plus essentielles à l'homme qui en sent vivement le besoin, ont élevé mon esprit en l'éclairant, vers l'éternel créateur de toutes choses, elles ont embrasé mon cœur et ont excité en moi de vifs élans d'amour et de reconnaissance pour l'auteur de mon existence et pour le divin rédempteur des hommes.
Cependant, au milieu de cet immense tableau de faits si importants, divers objets ne se sont présentés à mon esprit que comme des éclairs fugitifs de lumière dont la rapidité ne m'a pas permis d'en saisir la justesse et l'application dans l'obscurité où leur disparition m'a laissé sur ces objets. J'ai cru remarquer des vides, des lacunes, des coupures ; dans cette admirable chaîne de faits qui m'attristent, j'ai cru y voir des réticences volontaires, fondées sans doute sur de sages motifs que j'ignore et que je dois respecter, mais puisque l'initiation a pour but l'instruction des hommes éprouvés, puis-je espérer de recevoir par votre secours de plus grands développements sur les points qui m'embarrassent encore, qui, en fixant à cet égard mon imagination sur la ligne de la vérité, l'empêchent d'errer dans le vague et de se livrer à des interprétations incertaines qui exposent souvent à de grands dangers.
LE CHEF DU COLLEGE
Mon très cher et bien aimé frère,
Vous cesseriez de vous étonner des réticences qui vous affligent et des obscurités qui vous arrêtent si vous aviez porté vos regards sur vous-même, si vous vous étiez interrogé sur tous les devoirs que vous aviez eus à remplir jusque-là. Rappelez-vous le conseil important qui vous fut donné lorsque vous fûtes reçu compagnon dans la classe symbolique et présenté devant le miroir voilé qui est le symbole principal de ce grade. On vous dit alors :
"Si tu as un vrai désir, du courage et de l'intelligence, tire ce rideau". C’est-à-dire écarte le bandeau qui obscurcit ton intelligence et apprends à te connaître.
L'avez-vous fait ? Avez-vous eu constamment ce vrai désir sans mélange d'aucun motif humain, ce courage qui ne se laisse point abattre par les obstacles et qui élève l'intelligence jusqu'à la haute région pour laquelle elle est destinée ? Avez-vous bien étudié votre propre nature, et quels sont vos rapports essentiels avec l'être des êtres qui vous a institué à son image et à sa ressemblance ? N'avez-vous point trop négligé ou matérialisé les emblèmes et symboles qui, dès lors, vous furent offerts pour exercer votre intelligence, et ceux qui vous ont été présentés à chaque pas, avec la même intention dans la carrière symbolique, qui tous cependant demandaient de votre part les plus profondes méditations ? Vous vîntes ici pour apprendre à vaincre vos passions et soumettre votre volonté pour pouvoir faire de nouveaux progrès dans cette carrière. Avez-vous été fidèle à cette sage résolution ? N'êtes-vous point encore sous le joug de quelque penchant désordonné, de quelques préjugés, ou de quelques opinions discordantes que l'habitude ou le respect humain vous empêchent d'oser réformer ? La soumission de la volonté de l'homme à la volonté de Dieu est sans cesse aussi recommandée au Maçon qu'au Chrétien ; lui avez-vous fait sincèrement l'abandon et l'entier sacrifice de la vôtre, et sans cet abandon pouvez-vous raisonnablement en attendre les fruits ? Etes-vous parvenu à cet état de simplicité du cœur et de l'esprit, si louée dans les saints évangiles chez les enfants cités pour modèles dont le cœur n'est pas encore ouvert à l'enflure du savoir et se recommande aux autres ? C'est cependant à ceux qui leur ressemblent - et à ceux-là seuls - que la lumière est promise. Enfin, sachant que toute vraie lumière vient d'en haut, avez-vous contracté l'heureuse habitude de la demander en toute occasion importante à celui qui peut seul vous la donner ? Voilà mon cher frère l'examen que vous deviez faire sur vous-même avant de vous livrer à aucune plainte sur les obscurités et les lacunes que vous avez remarquées, et encore moins sur les réticences qui vous affligent.
L'INITIE
Je reconnais et confesse avec sincérité que je n'ai pas mis par le passé toute l'importance dont vous me faites sentir en ce moment la nécessité, à tous les emblèmes et symboles qui m'ont été présentés, aux avis et conseils qui m'ont été donnés, qui cependant ont été souvent présents à mon esprit. Mais cette faute sera-t-elle irréparable, et ne puis-je point espérer de l'indulgente amitié de mes frères qu'ils m'aideront à la réparer ?
LE CHEF DU COLLEGE
Vos frères, qui vous observaient, avaient remarqué avec la plus vive satisfaction vos efforts et vous ont donné la plus grande preuve qui soit en leur pouvoir de leur confiance et des espérances que vous leur aviez fait concevoir. Vous pouvez donc compter sur leur secours comme sur leur amitié ; mais méditez plus sérieusement que par le passé sur les questions qu'ils viennent de vous faire par mon organe et qui renferment autant de conseils, et n'oubliez jamais que les hommes les plus instruits, les plus éclairés, ne sont que des instruments dans les mains de la providence qui en dispose à son gré ; que malgré leur secours vous aurez toujours votre propre travail à faire ; que toute vraie lumière vient de Dieu et que lui seul peut vous la donner.
La doctrine des Grands Profès, que vous désirez connaître plus en détail, n'est point un système hasardé, arrangé comme tant d'autres suivant des opinions humaines. Elle remonte dans la plus haute antiquité jusqu'à Moïse qui la connut dans toute sa pureté et fut choisi par Dieu pour la faire connaître au petit nombre de ses Initiés qui furent les principaux chefs des grandes familles du peuple élu, auxquels il reçut ordre de la transmettre pour en perpétuer la connaissance dans toute sa vérité, et sans les voiles dont il dut ensuite la couvrir pour la multitude de la nation composée d'hommes ignorants, charnels et grossiers qui en auraient bientôt abusé. Les instructions que vous avez reçues, ainsi que celles qui pourront les suivre, sont un extrait fidèle de cette sainte doctrine parvenue d'âge en âge par l'initiation jusqu'à nous ; on y a joint ensuite celles relatives au grand mystère de l'incarnation du Verbe divin, et à d'autres grands événements postérieurs à Moïse.
La forme de cette initiation a quelquefois varié selon les temps et les circonstances, mais le fond, qui est invariable, est toujours resté le même. Recevez-la donc avec un juste sentiment de reconnaissance et méditez en la Doctrine sans préjugé avec ce respect religieux que l'homme dignement préparé sent devoir à ce qui l'instruit et l'éclaire. Vous en recueillerez de grands fruits pour vous-même et pour vos frères.
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